mercredi 19 mai 2010

Boèce et Plotin

SOMMAIRE

Introduction 1
I. LA CONCEPTION PLOTINIENNE DE LA PROVIDENCE 2
I. 1. La Providence et la génération du monde 2
I. 2 – La Providence et le mal 4
I.3. La providence et la liberté 7
I.4. La providence et le destin de l’âme 9
II. LA CONCEPTION BOECIENNE DE LA PROVIDENCE 14
II. 1. La providence et le destin 14
II. 2. La providence et le hasard 16
II. 2. La providence et le libre arbitre 17
III. RAPPROCHEMENT ENTRE PLOTIN ET BOECE 21
III. 1. Points de divergences 21
III. 2. Points de convergences 22
IV. APPORT PHILOSOPHIQUE 23
Conclusion 26
BIBLIOGRAPHIE 28


Introduction

La providence fait partie de ces concepts qu’on a la possibilité de pouvoir suivre tout au long de l’histoire de la Philosophie : depuis son usage antique jusqu’aux développements de la philosophie occidentale, le terme se trouve investi d’une puissance de pensée qui en fait un des lieux des interrogations philosophiques. C’est surtout au Moyen-Âge que le concept de providence sera au centre de nombreux discours, grâce à l’apparition d’une compréhension chrétienne. On se souvient là que la définition classique donnait, à cette période, un sens fort au préfixe « pro » qui entre dans la composition du mot providence : Dieu préexiste à sa création ; par son omniscience, il voit tout à l’avance, il prévoit et prévient toute chose.
Parmi les philosophes qui ont étudié cette notion de providence, nous considérons, pour le présent travail, deux : il s’agit de Plotin et de Boèce.

La lecture de La Consolation de la Philosophie de Boèce et des Ennéades III, 2[47] et III, 3[48] de Plotin nous donne de remarquer que ces deux philosophes ont bel et bien en commun une thématique : celle de la providence universelle et donc divine. Ainsi la question qui se pose à nous ici est celle de savoir comment chacun a abordé cette notion. Quelle est la conception plotinienne de la providence ? Et quelle celle de Boèce ? Quels sont les points de rapprochements qu’on peut y relever ? Quel intérêt philosophique y a-t-il à tirer du thème de la providence dans le cadre de ce cours d’histoire de la philosophie ancienne et médiévale ? Telles sont les questions qui vont guider la suite de notre travail.
Dans le premier moment de notre étude, nous nous fonderons sur les Ennéades III, 2 [47] et Ennéades III, 3 [48] de Plotin. Dans le deuxième, nous analyserons la question chez Boèce dans sa Consolation de la Philosophie, notamment dans ses livres IV et V où est traité largement ce thème de la providence.
Pour mener à bien notre travail, la méthode restera analytico-descriptive : c’est-à-dire clarifier et élucider notre problématique à partir des textes de Plotin et de Boèce en procédant par la voie d’analyse et de description.


I. LA CONCEPTION PLOTINIENNE DE LA PROVIDENCE

Porphyre a rassemblé dans la III è Ennéade, ainsi qu’il le dit dans la vita plotini, les livres qui se rapportent à la théorie du monde, considérée surtout au point de vue théologique et métaphysique. C’est dans ce cadre que se situent les deux livres, De la Providence, qui en réalité, ne forment qu’un seul et même traité, mais que Porphyre a divisé en deux parties : De La Providence I (livre II, [47]) et De La Providence II (livre III, [48]).
Cependant, notons que la doctrine de Plotin sur la providence n’est pas contenue tout entière dans les livres qui portent ce titre. Nous n’avons, en effet, que le groupement systématique des traités selon Porphyre. De là vient que la doctrine de Plotin ne s’est pas développée partie par partie dans une suite de traités, mais qu’il expose presque dans chaque traité sa doctrine tout entière sous le point de vue particulier du sujet qu’il a à examiner.
A nous arrêter aux deux textes ou livres proposés à notre lecture, nous remarquons que le problème ou le thème de la providence est de tous le plus fertile en questions et l’on aurait de la peine à trouver une explication qui l’épuise pleinement. Le sujet et tel en effet que si l’on a tranché une incertitude, d’autres se lèvent innombrables; et le seul procédé est de les maîtriser sous le feu souverain de l’esprit. Chez Plotin, on s’aperçoit que traiter de la providence conduit à poser la problématique de son rapport avec l’idée de la génération de l’univers sensible, du Bien, du mal, de la liberté et du destin de l’âme humaine. Tour à tour, nous analyserons la réponse plotinienne à ces problématiques.

I. 1. La Providence et la génération du monde

Le problème de la providence en lien avec la génération du monde est posé dès le départ chez Plotin dans cette aporie :

Attribuer à la spontanéité et au hasard l’existence et la formation du monde sensible, c’est absurdité d’homme qui ne sait ni comprendre ni regarder […] Mais quel et le mode de la naissance et de la production des choses, dont quelques unes sont contraires à la droite règle, au point qu’on arrive soit à la nier, soit à considérer le monde comme l’œuvre d’un mauvais démiurge ?


Au regard de la beauté, de l’organisation de ce monde sensible, Plotin refuse de penser un seul instant qu’il est le produit du hasard et qu’il a un commencement. Plotin se joint à son maître Platon pour penser que ce monde a sans doute une cause, et c’est une cause intelligente. Par là, la cause intelligente est providence car elle préexiste au monde qu’elle produit. Il faut dire ici que Plotin défend la providence contre les Epicuriens qui l’avaient niée et étaient arrivés au fatalisme par la doctrine du hasard.
Pour Plotin, le monde n’est pas, en effet, le produit d’un hasard ni d’un quelconque mauvais démiurge car celui-ci est beau et organisé. De plus, ce beau et organisé « monde existe toujours et […] il n’y a pas d’instant où il n’existe » . Plotin offre ici une alternative à la notion de la création ex nihilo soutenue par les juifs, les premiers chrétiens et certains Platoniciens (Atticus, Plutarque) qui, selon lui, affligeraient Dieu des délibérations d’un esprit et des actions de volonté. « Si nous supposons que le monde n’a pas toujours existé et qu’il est né à un certain moment » , nous établirons une idée inférieure de la providence. On voit que cet argument que Plotin donne est d’ordre métaphysique : si Dieu crée le monde à un moment donné, cela suppose qu’il est resté inactif pendant une éternité. Donc, cela revient à dire qu’il n’est pas parfait. Pour échapper à ce scandale, Plotin pense qu’il est juste d’en conclure que cet univers a toujours existé et qu’il est causé non par un simple principe matériel comme l’air, le feu, ainsi que le soutenaient Anaximène, Héraclite, mais que c’est une puissance : l’intelligence en est la cause . Autrement dit, ce monde est causé, généré par l’intelligence. Notons que c’est une intelligence divine en ce sens qu’elle est différente de l’intelligence particulière, humaine. Ainsi, il est aussi « juste d’en conclure que la providence (universelle) est la conformité de l’univers à [cette] intelligence » . Autrement dit, Plotin interprète la providence comme l’ordre donné à ce monde par l’intelligence. Cette intelligence, cause de ce monde, est ce que les stoïciens considèrent comme un Logos immanent au monde. Aristote la conçoit comme un Intellect transcendant qui se pense et qui meut le monde, Alexandre d’Aphrodise la voit comme un Intellect qui, à la fois, est le moteur du monde et moteur de notre propre pensée, Albinus, enfin, la considère comme une pure activité intellectuelle qui ne fait que penser les idées et qui laisse la responsabilité de l’organisation du monde à l’âme du monde. Chez Plotin, l’intelligence est antérieure au monde, non pas chronologiquement, mais en ce sens qu’il dérive, procède, émane d’elle.
La procession, la dérivation, l’émanation, la génération sont les différents concepts qui signifient la même chose et que Plotin préfère employer pour expliquer la présence, l’existence du monde sensible. La théorie de la procession, de la dérivation, de l’émanation, de la génération, à l’inverse de la théorie de la création, garde intact la perfection de Dieu : la production du monde est le résultat nécessaire et éternel de la nature divine. Le monde émane d’elle à la manière dont la lumière du soleil est diffusée par lui : de manière continue.
L’intelligence chez Plotin constitue le monde véritable ; c’est un monde intelligible.

Il ne lui manque rien, même en aucune de ses parties, puisque ces parties ne sont que des fragments arrachés au tout ; il réunit en une unité indivisible toute vie et toute intelligence si bien que cette unité fait de chaque partie un tout .


Et c’est de ce monde-là, véritable et un, que tire son existence ce monde-ci […] . Mais, nous constatons que ce monde-ci n’est pas un comme sa cause. Il y règne tellement de maux. Dès lors, une question jaillit à ce niveau : étant donné que l’intelligence a la puissance de produire, ne faut-il pas penser qu’elle est la cause de ces maux qui existent dans ce bas monde ? Comment accorder l’idée de la providence comme conformité de l’univers à l’intelligence divine avec la réalité du mal ? Comment Plotin répond t-il à cette objection ? C’est ce que nous verrons dans le point qui va suivre.

I. 2 – La Providence et le mal

La réalité du mal dans ce monde est pour beaucoup de personnes un argument contre la providence divine. Celle-ci est accusée d’être la principale cause du mal. La providence divine n’est pas responsable du mal dans ce monde : voilà le point de vue de Plotin que nous allons exposer dans les lignes qui vont suivre.
Pour comprendre la conception plotinienne de cette problématique, il faut que nous insistions davantage sur sa description de l’intelligence. Pour Plotin, « ce monde n’est pas né parce que l‘intelligence a réfléchi qu’il fallait le créer ; il est le résultat d’une nécessité inhérente à la nature de second rang » . En d’autres termes, il y a entre l’intelligence et le monde un autre être ou intelligence. Il faut aussi remarquer ici que ce processus de production naturelle des autres êtres par l’intelligence se réalise sans effort, sans agitation ni mouvement. Cette production est liée à la nature de l’intelligence, à l’énergie qu’elle dégage ; car « elle a beaucoup de puissance » . De l’intelligence procède un autre être intelligent, différent d’elle et dans ce cas de second rang. Et donc, plus l’être produit s’étend dans l’espace, moins il ressemble à l’intelligence première. Plotin précise que « de l’intelligence émane la raison » et de qui « […] surgit ce monde qui s’étend dans l’espace » . Parce qu’il s’étend dans l’espace, « forcément, il a des parties qui s’attirent et se conviennent, d’autres qui se haïssent et sont ennemies » . Il apparaît chez Plotin que le mal existe dans l’univers comme un élément de la génération, de procession, de production naturelle et de corruption ; il est défaut, manque et carence. En effet, de l’intelligence,

il ne peut naître un autre monde qui soit pure raison. S’il naît autre chose, ce doit être une autre chose inférieure à lui et non pas une pure raison ; ce ne doit pas être non plus la matière, puisque la matière n’est pas un monde : c’est une chose mélangée des deux. Elle se décompose donc en matière et en raison ; son origine est l’âme qui préside à ce mélange. Il ne faut pas croire que l’âme ait du mal à gouverner cet univers ; elle le gouverne très aisément, en y mettant comme présente .

De cette citation, on peut noter que Plotin résout le problème de l’existence du mal sous un angle métaphysique. Le mal est une conséquence de la production des êtres, c’est une conséquence du mélange de la raison et de la matière. Et par rapport à cette situation, nous ne pourrons ne pas voir en la providence, en l’intelligence la cause, l’origine du mal. D’autant plus c’est elle qui a produit la raison et qui a ensuite produit la matière.
Pour Plotin, quoique ce monde soit moins un, bien, imparfait, inférieur au monde intelligible, habité par le mal, il est cependant le plus beau et le meilleur des mondes possibles « On aurait tort de blâmer ce monde et de dire qu’il n’est pas beau, et qu’il n’est pas le plus parfait des êtres corporels. Il ne faut pas non plus accuser celui qui est cause de son existence; d’abord il existe nécessairement et ne dérive pas d’une intention réfléchie » . Parce que ce monde n’est pas né d’une intention réfléchie de l’intelligence, cette dernière n’est pas responsable du mal qui existe dans l’univers. Plotin sauve encore ici la providence d’une accusation.
La matière qui entre comme élément dans la production du monde rend davantage ce monde plus beau ; on peut voir en effet qu’il renferme tous les êtres, plantes, animaux et tout ce qui peut naître. Ces êtres animent tour à tour des corps différents. Les êtres ou âmes qui écoutent les appétits du corps, de la matière, en sont justement punies. « L’action vicieuse vicie les âmes et les met en un lieu inférieur » . Il ne faut donc pas réclamer le bonheur pour ceux qui n’ont rien fait pour le mériter. Les bons seuls l’obtiennent.
Si donc même ici bas, certaines âmes ont la faculté d’arriver au Bonheur, au Bien, il ne faut pas accuser la providence, la cause de l’univers pour ce que quelques âmes ne sont pas heureuses. Il faut plutôt accuser la matière et la faiblesse de la raison qui les empêche de lutter courageusement pour se tourner, s’élever vers le Bien, le Dieu provident.
Quant à la pauvreté, les souffrances, les maladies et autres imperfections, elles sont sans importance pour les bons, mais sont utiles aux méchants . De plus « la maladie est une nécessité pour qui possède un corps. Et même d’ailleurs, elle n’est pas du tout sans utilité pour l’ordre universel et pour la perfection de l’univers » . Aussi, les maux donnent aux âmes d’êtres d’être plus vigilantes ; ils excitent l’esprit et l’intelligence de l’homme à éviter les voies de perdition ; ils donnent à Dieu d’exercer sa justice distributive.

D’une manière générale, il faut affirmer que le mal est le défaut de Bien ; et ici bas, il y a nécessairement défaut de bien parce que le bien est ailleurs qu’en lui-même ; le sujet en qui est le bien, produit le défaut, parce qu’il est différent du bien, et qu’il n’est pas bon. C’est pourquoi les maux sont indestructibles : c’est que par rapport au bien il y a des êtres inférieurs des uns aux autres, et que tous ces êtres différents du bien, tout en ayant en lui la cause de leur existence, deviennent ce qu’ils sont en s’éloignant de lui .


Mais pourquoi des états contraires à la nature chez l’honnête homme, et des états conformes à la nature chez le méchant ? Comment il se fait que les vicieux obtiennent si souvent tous les avantages auxquels on attache tant de prix, (richesse, honneurs, etc.) et que les hommes vertueux aient une condition contraire. «Tout cela nous fait douter ; comment pareilles choses arrivent-elles s’il y a une Providence ? » .
Pour répondre à cette question ou objection contre la providence, il faut remarquer premièrement que le bien que nous cherchons ici bas est dans un être multiple : un être qui est mélangé de mal. Faudrait-il accuser Dieu de l’avoir fait méchant ? Plotin n’en croit pas. Qui alors accuser dans ce cas ? Faut-il accuser l’homme ? L’origine du mal se situerait-t-elle plutôt dans l’homme, être raisonnable et corporel ? C’est ici Plotin va introduire le concept de liberté pour plaider la cause de la providence divine.

I.3. La providence et la liberté

Il faut penser avec Plotin que ce monde ici-bas est un mélange de raison et de matière. Si l’homme « pourtant fait de chair, de nerfs et d’os, est doté par une raison capable d’embellir ces matériaux et de pénétrer la matière » , on est satisfait de son créateur, de la providence qui l’a fait ainsi. L’intelligence, dans sa divine providence, a produit les êtres libres. Considérant les actes mauvais de l’homme, Plotin soutient qu’on ne peut demander compte ni raison à la providence de ces actes, dès lorsqu’on admet avec Platon que la faute et à celui qui a choisi . Dans ce cas, l’homme est libre. Il dépend soit du corps soit de son intelligence. Il a le pourvoir des contraires et la liberté de choix. Tout au long du reste du texte sur la providence, Plotin revient, insiste sur cette idée de notre liberté et l’invoque pour montrer que Dieu n’est point responsable du mal moral et physique.
L’homme est libre : on ne peut donc faire remonter la responsabilité de ses vices ou de ses crimes à Dieu. Et si l’homme est né libre, c’est que sa liberté faisait partie du plan de l’univers. Nous disions plus haut que le choix libre de l’homme donne d’ailleurs lieu à la providence d’exercer sa justice. En effet, l’action de la providence ne doit pas anéantir la liberté de l’homme ; son rôle est d’assurer à chacun soit ici-bas soit après la mort, la récompense ou la punition qu’il a méritée par sa conduite.
Pour obtenir les avantages auxquels on attache du prix, il faut faire des actes de l’accomplissement desquels dépend leur possession.

Mais lorsqu’on voit les maux qui s’attachent à ceux qui sont le contraire des méchants, lorsqu’on voit les bons pauvres, tandis que les méchants sont riches et ont en surabondance les biens auxquels devraient avoir part leurs inférieurs qui sont des hommes, tandis enfin que les méchants, individus, peuples ou cités, dominent les bons ? Est-ce donc que la Providence ne s‘étend pas à la terre ?


A cette question, Plotin répond par négation en soutenant que bien des faits témoignent que la providence descend jusqu’à terre, il n’y a qu’à voir ces êtres qui se conduisent raisonnablement bien. De fait, on s’étonne de voir l’injustice parmi les hommes parce que l’on juge que l’homme est l’être le plus précieux de l’univers ; il incline tantôt vers les uns, tantôt vers les autres, tantôt il est au milieu.
Si les méchants dominent, sont plus riches, c’est parce que ce sont les bons eux-mêmes qui les laissent le devenir. Ce n’est pas à

Dieu à combattre pour les pacifiques ; la loi veut qu’à la guerre on trouve son salut dans la bravoure et non dans les prières. On n’obtient pas de récoltes en priant, mais en prenant le soin de la terre ; et l’on est mal portant, si l’on néglige le soin de sa santé .


Suivant Plotin, les méchants ont le pouvoir grâce à la lâcheté de leurs sujets : c’est la justice et le contraire serait injuste.
Il ne faut pas étendre l’action de la providence au point de supprimer notre propre action : car si la providence fait tout, s’il n’y a qu’elle, elle est anéantie. A quoi s’appliquerait-elle en effet ? Il n’y aurait plus la Divinité. Il existe effectivement un Etre divin, mais cet Etre nous laisse libre. Les méchants sont pleinement responsables de leurs actes parce que ce sont eux qui les font, c’est une disposition conforme à leur volonté. Si les bons ne prennent pas le gouvernement des méchants par des déterminations volontaires, le monde sera toujours plein de méchanceté, de maux. Mais si les hommes bons deviennent méchants malgré eux et sans le vouloir, peut-on dans ce sens les déclarer responsables des torts qu’ils font ? Dans la réponse qu’il fait à cette objection, Plotin dira qu’ils sont ou deviennent méchants malgré eux. Mais, « cela n’empêche qu’ils sont des êtres qui agissent par eux-mêmes, et c’est dans les actes qu’ils font par eux-mêmes qu’ils commettent des fautes ; ils ne seraient pas en faute, si ce n’était eux qui agissaient » . Comment résoudre cette polémique ?
De fait, il faut tout simplement accepter que la raison du monde n’ait pas dû donner à tout une perfection uniforme, parce que les inégalités mêmes et les différences des êtres contribuent à la beauté de l’univers. « La raison ne fait pas seulement des êtres divins, elle fait des dieux, puis des démons qui sont au second rang, puis les hommes, ensuite les animaux ; non qu’elle éprouve d’envie, mais parce qu’elle contient en elle toute la diversité des intelligibles » . Si la raison du monde renferme en elle-même une différence et produit des choses différentes, les différences qui existent dans ces choses sont plus grandes que celles qui existent dans la raison. Ces différences créent le beau spectacle de l’univers . La destruction des uns par les autres est une des conditions de la vie universelle ; et que la guerre des uns contre les autres n’est qu’un jeu puisqu’elle n’anéantit pas l’âme. La pluralité et l’opposition des contraires sont donc nécessaires. S’il n’y avait pas les maux dans cet univers « comment distinguerions-nous des événements conformes à la nature et des événements contraires à la nature, puisque tout ce qui se fait est conforme à la nature ? » . Il faut qu’il y’ait des contraires, des êtres bons et des êtres mauvais pour que Dieu ou sa providence soit. Certains le deviennent pour les motifs différents, d’autres dès le début. « Cette inégalité est en rapport avec la nature de la raison dont elles sont les parties » . N’est-ce pas absurde ? Pourquoi créer donc certaines âmes bonnes et d’autres mauvaises ?
Plotin répond : c’est que la raison de l’univers contient en soi toutes les raisons séminales particulières ; chacune de celles-ci contient à son tour des actions qu’elle doit produire ; car toute raison renferme la pluralité (les biens comme les maux) dans l’unité. L’harmonie des raisons particulières, dans leur développement, constitue l’unité du plan de l’univers. Chacune des parties de cet univers agit selon sa propre nature . Dans ce sens, faut-il penser que l'histoire présente et future d'un être humain est d’avance prédéfinie par la providence ? Comment alors comprendre le destin de l’âme ?

I.4. La providence et le destin de l’âme

Pour comprendre la difficile question de la providence et du destin des âmes individuelles chez Plotin, il est nécessaire de partir du rapport qu’il établit entre les raisons et l’âme universelle, les parties de ces raisons et les parties de cette âme. Et parler des parties de l’âme universelle c’est sous-entendre une division. On quitte l’unité : l’âme universelle, vers la multiplicité : les parties de l’âme universelle.



Les raisons sont l’acte d’une âme et

Les parties de ces raisons sont l’acte des parties de cette âme ; et comme cette âme, toute une qu’elle est, a des parties, les raisons ont aussi des parties, si bien que les ouvrages de ces raisons, qui sont leurs productions dernières, en ont également. Mais comme les âmes sont en harmonie les unes avec les autres, leurs œuvres le sont également ; cette harmonie consiste en ce qu’elles forment une unité, fussent-elles contraires les unes aux autres.

De ce rapport établi entre les raisons et l’âme, les parties de l’âme et les parties des raisons ressort l’idée de la hiérarchisation des œuvres d’une âme dans laquelle nous pouvons trouver la place de l’âme humaine. La position de celle-ci lui permet d’accomplir les actes conformes à la providence et ceux qui ne le sont pas. Cette manière d’agir a pour conséquence le bien et le mal. Mais avant de parler de la possibilité chez l’âme humaine d’agir contre la volonté de la providence, nous allons d’abord voir comment les œuvres d’une âme universelle sont hiérarchisées.
A propos de la hiérarchisation des œuvres d’une âme, on note un mouvement descendant c’est-à-dire un mouvement de la division, on quitte l’ordre unique vers une multiplicité des parties d’une âme. On passe des parties supérieures vers les parties inférieures. Chaque partie doit remplir la fonction propre à sa nature comme le font les parties d’un animal. Et Plotin dit que « cette vie conforme à leur nature et à leurs fonctions a pour conséquence le bien et le mal » .
En effet, les êtres ou les parties du premier rang vont accomplir les fonctions supérieures par rapport aux fonctions accomplies par les parties du second rang ou du troisième rang. Dans cet ordre les choses supérieures ne dépendent pas des choses inférieures, au contraire elles les illuminent. Plotin va définir la lumière des choses supérieures comme étant la providence complète . Selon lui « la providence nous vient d’en haut ; elle est égale, non parce qu’elle fait à tous des dons numériquement égaux, mais parce qu’elle les proportionne aux diverses régions de l’univers » . Ainsi, tout être doit se complaire de sa condition de vie parce qu’il a reçu de son auteur ce qui lui convient. On n’a pas le droit de réclamer le plus de ce qu’on a. comme l’homme ne réclame pas la raison aux bêtes, et qu’il trouve normal qu’elles ne soient pas raisonnables, non plus il n’a pas le droit de réclamer d’être mieux qu’il est . Si l’on ne tient pas compte des fonctions conformes à la nature de chaque partie, on peut facilement voir le mal à une fonction accomplie par la partie inférieure. Or cette fonction est conforme à sa nature.
De toutes les choses, dit Plotin, se forme un être unique ; et il n’y a qu’une seule providence ; par les choses inférieures, la providence est d’abord destin tandis qu’en haut, elle n’est que providence . « Tout ce qui descend de là-haut est providence, c’est-à-dire tout ce qui est dans l’âme pure, et tout ce qui vient de l’âme aux animaux » . Jusqu’ici nous voyons qu’on n’a pas le droit de parler du mal dans cette hiérarchisation des œuvres d’une âme. Ce n’est en faisant la comparaison entre les fonctions des êtres supérieurs et celles des êtres inférieurs qu’on peut dire que telles fonctions sont meilleures plus que telles autres. Mais quand on descend dans l’ordre des rangs des êtres on peut arriver à des fonctions qui ne sont pas conformes à la volonté de la providence et là on parle de la contrariété des œuvres d’une âme à la providence. Et ces actes contraires à la volonté de la providence, nous verrons qu’ils sont surtout produits par l’âme humaine. Cela parce que, selon Plotin, l’âme humaine a en elle le principe de la liberté qui n’est pas une partie de la nature des bêtes . C’est ainsi que nous entrons dans l’idée de la contrariété des œuvres d’une âme à la providence.
Selon Plotin les actions des êtres sont conformes à la providence « quand les êtres agissent d’une manière agréable aux dieux » . En fait pour lui, la loi de la providence est aimée par les dieux. Les actes de ces êtres sont liés au reste, c’est-à-dire à un tout. Ils ne sont pas l’œuvre de la providence quand « ils ont pour auteurs soit des hommes, soit des êtres quelconques, vivant ou inanimés ; mais dès qu’il en résulte quelque bien, la providence les englobe, de manière à faire triompher partout le mérite, à changer les âmes et à corriger les fautes » . Ici Plotin donne l’exemple de la providence qui donne la santé à l’animal, mais d’un coup il peut y avoir une blessure (coupure du corps). La providence va réunir les bords de la plaie et procurer la guérison, ainsi le bien jaillit du mal.
Plotin prend des maux comme des conséquences nécessaires qui viennent de nous lorsque nous ajoutons spontanément nos actes aux œuvres de la providence et à celles qui dérivent d’elle, sans toutefois y être contraints par la providence. « Il y a le mal lorsque nous sommes incapables de lier la suite de nos actes selon la volonté de la providence, et que nous agissons à notre gré ou au gré de quelque autre partie de l’univers, en ne suivant pas la providence ou en subissant en nous l’action de cette partie » .
En effet, nous ne recevons pas de la même manière l’ordre de la providence. Comme nous pouvons ou ne pas suivre les prescriptions données par un médecin, pareillement pour la providence nous pouvons ou ne pas suivre la volonté de la providence. Ainsi donc, nous voyons qu’il est difficile pour un être libre de distinguer dans un mélange des faits, d’une part la providence avec ce qui lui est conforme et d’autre part le sujet matériel avec ce qu’il donne de lui-même. Mais c’est aussi possible de le faire parce qu’on trouve dans l’univers les analogies. Celles-ci permettent de prédire la suite des événements de la providence . Dans ces conditions, il devient facile de suivre la volonté de la providence.
De toutes les façons, quand on considère l’ordre du monde, l’âme universelle, on constate l’inséparabilité du bien et du mal. Cela parce que, selon Plotin, « il existe des choses pires parce qu’il existe des choses meilleures » . C’est normal que dans une œuvre multiforme qu’est l’univers on trouve le pire et le meilleur. « Il ne faut donc pas accuser le pire d’être dans le meilleur ; il faut plutôt être satisfait de ce que le meilleur a donné de lui-même au pire » . Vouloir détruire le pire dans l’univers, dit Plotin, c’est vouloir détruire la providence elle-même. Ainsi comprendrons-nous facilement que l’âme qui touche à la fois la matière et l’intelligible doit nécessairement englober le bien et le mal qui sont dans l’ordre de l’univers, dans la providence.
Mais l’âme humaine est sur le juste chemin quand elle est tournée vers les réalités supérieures d’où procède la providence complète. Ainsi, après la mort d’un corps qu’elle anime, elle peut monter vers un rang supérieur ; dans le cas contraire c’est-à-dire où elle se laisse dominée par la matière, par les désirs , après la mort elle descend vers les réalités inférieures où elle pourra renaître par exemple dans le bœuf. Suivant son maître Platon dans la théorie de la métempsycose, Plotin montre que la domination de la matière sur la raison dans l’âme dépend de la conduite antérieure de l’âme. Il le dit par ces mots : «Si tu es tel que tu es, on peut l’expliquer par ta conduite dans une vie antérieure ; par suite de tes antécédents, ta raison s’est obscurcie, si on la compare à ce qu’elle était avant ; ton âme s’est affaiblie ; et plus tard, elle redeviendra brillante » . Jusqu’ici nous pouvons comprendre que le destin de l’âme humaine consiste dans le combat quotidien qu’elle doit mener pour vaincre la matière en vue de redevenir telle qu’elle était aux origines. Pour y arriver, « il faut remonter par la pensée aux vies antérieures, parce que les vies suivantes en dépendent » .

De tout ce qui précède dans ce premier point consacré à l’étude des textes de Plotin sur la providence, que pouvons-nous retenir ?
Nous disions que Plotin traite de la providence universelle et donc de la providence divine. Notre philosophe associe étroitement cette thématique à diverses autres thématiques. Il s’est dégagé tout au long de son analyse plusieurs définitions ou conceptions de la providence. La providence est considérée comme la conformité de l’univers à l’intelligence qui en est la cause, la génératrice. L’intelligence qui cause le monde n’est pas responsable du mal qui y existe et par là la providence ne l’est pas aussi. Cette intelligence, dans son processus de production naturelle des êtres, a produit des êtres libres et donc qui ont la liberté de choix de leurs actes dans ce monde. Ceux qui se comporteront raisonnablement bien seront récompensés, et ceux qui se laisseront dominés par les passions du corps, de la matière, seront punis. Par là aussi, la providence est la loi, la justice distributive de Dieu. Malheureusement, dans ce monde, il est difficile de rencontrer des êtres qui se conduisent toujours et uniquement bien ; tous les êtres sont comme à la fois attirés vers le bien et le mal. Tel est en effet leur destin. Ici la providence est considérée comme la divine loi de la nécessité du bien et du mal dans l’univers. Voici, résumé rapidement ce nous pouvons retenir chez Plotin. Arrêtons-nous ici pour étudier le même thème avec Boèce. Quelle est sa conception de la providence ?




II. LA CONCEPTION BOECIENNE DE LA PROVIDENCE

Partant du problème du mal subi par le juste, Boèce est conduit à poser le problème de la providence divine. C’est son étonnement de voir les satisfactions de ce monde refusées aux bons et dispensées aux méchants qui l’amena à interroger la providence. Boèce se rend compte que « le problème de la providence est lié à beaucoup d’autres » . C’est pourquoi dans son développement, il traite de la providence en lien avec d’autres thèmes : celui du destin, du hasard, du libre arbitre, de la prescience divine. C’est ce que nous envisageons d’étudier dans ce deuxième point de notre travail ; nous verrons ainsi comment il aborde à sa manière ces différentes thématiques.

II. 1. La providence et le destin

Boèce entreprend le problème de la providence en le liant à la notion du destin. Il commence par poser que « toute génération, toute évolution dans les êtres sujets au changement, toute transformation procèdent, dans leur origine, leur ordonnance et leurs divers aspects, de la stabilité de l’intelligence divine » . Boèce continue en disant que cet enchaînement des choses et des événements, considéré dans sa source divine, est ce que nous appelons la providence ; mais si nous l'envisageons dans son objet, c'est-à-dire dans les choses créées, qui reçoivent de la providence la forme et le mouvement, c'est ce que les anciens nommaient destin .
Au premier coup d'oeil, la Providence et le destin semblent être une même chose, mais Boèce affirmera que « providence et destin ne se confondent pas » : car la providence est la raison divine elle-même, subsistant dans le Principe suprême, laquelle ordonne tout ; et le destin est l'ordre inhérent aux choses muables, par lequel elle les met chacune à sa place. La providence en effet embrasse à la fois toutes les choses de ce monde, quelque différentes, quelque innombrables qu'elles soient, et le destin les réalise successivement sous des formes diverses, dans des temps et des lieux différents. Ainsi, cet ordre des choses et des temps, réuni dans la pensée de Dieu, est ce qu'on doit appeler providence; et quand on le considère divisé et développé dans le cours des temps, c'est ce qu'on a nommé destin. Ces deux choses sont donc différentes. Mais providence et destin ont beau ne pas se confondre, l’un cependant dépend de l’autre : car l'ordre des destinées procède de la pensée souverainement simple de la providence . En effet, comme un ouvrier, en concevant l'idée de l'ouvrage qu'il projette, l'embrasse d'un seul coup d'oeil tout entier, quoiqu'il ne l'exécute ensuite que successivement; de même la providence, par un seul acte, règle d'une manière immuable tout ce qui doit se faire dans l'univers, et elle se sert ensuite du destin pour l'exécuter en détail successivement et de mille manières différentes. Soit donc que le destin exerce son empire par des esprits divins qui servent de ministres à la providence, soit qu'il l'exerce par l'action de l'âme ou par celle de toute la nature, soit par l'influence des astres, soit par la vertu des anges ou par l'artifice des démons, soit enfin que toutes ces puissances y concourent ou que quelques-unes seulement y aient part. Il est toujours certain que l'idée universelle et simple de ce qui doit se faire dans le monde [telle qu'elle est en Dieu] est ce que nous devons nommer providence, et que le destin n'est que le ministre de cette providence, parce qu'il développe et qu'il ordonne dans la suite des temps ce que la providence a réglé par un seul acte de sa pensée .
Ainsi, ce qui est soumis au destin, et le destin lui-même, tout est sujet à la providence; mais la providence embrasse bien des choses qui ne dépendent aucunement du destin. Comment ? Ce qui est plus éloigné de l'Intelligence suprême, est plus sujet aux lois du destin, ce qui en est plus proche en dépend moins, et ce qui est uni invariablement à l'intelligence suprême en est tout à fait exempt. L'ordre du destin n'est donc, par rapport à la providence, que ce que l'effet est à son principe, le raisonnement à l'entendement, la circonférence du cercle à l'indivisibilité de son centre, et le temps à l'éternité. C'est cet ordre du destin qui donne le mouvement aux cieux et aux astres, qui conduit les éléments, et les change mutuellement les uns dans les autres. C'est par ses lois que la génération remplace sans cesse les êtres qui périssent, par d'autres qui leur succèdent ; ce sont elles qui règlent les actions et le sort des hommes, par un enchaînement aussi invariable que la providence, qui en est le premier principe. Tel est en effet l'ordre admirable de cette providence immuable et infiniment simple ; elle produit au dehors, d'une manière toujours entièrement conforme à ses vues, cette multitude de choses qui, sans l'ordre qu'elle leur prescrit, seraient abandonnées au caprice du hasard. Il est vrai que les hommes ne pouvant apercevoir cet ordre admirable, s'imaginent que tout ici-bas est dans une confusion universelle ; mais il n'en est pas moins certain que, par la direction de la providence, il n'est point d'être qui de soi ne tende au bien . « Il n’y a rien en effet qui ait le mal pour fin, pas même du fait des méchants » . Autrement dit, les méchants qui font le mal, ne font point le mal ; ils ne le font que parce qu'il se présente à leur imagination sous l'apparence du bien. Ils ne cherchent que le bien, et s'ils n'y parviennent pas, c'est une erreur fatale qui les égare ; mais leur égarement ne peut être l'effet de cet ordre divin qui émane du bien suprême. Ainsi, tout ce qui arrive ici-bas d'agréable ou de fâcheux sert à récompenser ou à exercer la vertu, et à punir et corriger le vice. Et sans cet ordre que la divine providence prescrit aux hommes de ce monde, le monde flotterait au hasard et en désordre. Puisque la providence divine ordonne et gouverne déjà, faut-il penser qu’un événement hasardeux n’est plus ? Qu’est-ce qu’en effet le hasard ? Ces questions nous introduisent dans le second point de notre étude sur l’approche boécienne de la providence en lien avec le thème du hasard.
II. 2. La providence et le hasard

Boèce défend la providence divine contre la théorie du hasard et pose le concept hasard comme un concept vide de sens. Il soutient qu’on ne saurait définir le hasard comme étant quelque chose de purement fortuit ou imprévu, auquel cas il serait complètement vide de sens. Aussi, déclare-t-il : « Si l’on appelle hasard un événement purement fortuit et indépendant de toute espèce de cause, loin de consentir à la définition, je déclare que ce mot, à part la signification qu’il peut avoir en lui-même, est absolument vide de sens » . En fait, le hasard n’est pas synonyme de quelque chose qui se produirait de manière fortuite. Il épouse par là la pensée des anciens qui disaient que « rien ne se fait pour rien » . De même, dans sa laborieuse démarche en vue de définir le concept du hasard, il fait intervenir Aristote qui soutient dans sa Physique que le hasard est une cause cachée à la raison humaine. C’est dans ce sens qu’il dit : « toutes les fois qu’on agit en vue d’un but déterminé, et que par l’effet d’une cause quelconque, il arrive un résultat différent de celui qu’on attendait, on l’appelle un hasard ». Ici, l’auteur considère le hasard comme tout événement qui se produirait par le concours imprévu et inattendu de causes qui lui sont propres. Aussi va- t-il illustrer cette conception de la chose par un exemple. Il dit : « si homme retourne la terre pour cultiver son champ et découvre un lingot d’or enfoui, voilà donc un événement qui paraît dû au hasard, mais il ne vient pas du néant ; car il a ses causes propres de la rencontre imprévue et inattendue […] » . Il renchérit en disant que « si le laboureur ne retournait pas la terre et si l’enfouisseur n’avait pas déposé sa fortune à cet endroit, l’or n’aurait pas été découvert » . Ici on voit que c’est un concours de circonstances qui a amené le second à déterrer ce que le premier avait enfoui. Par conséquent, le hasard ne peut être considéré comme tout événement dépourvu de causes, mais plutôt comme étant une chose qui arrive et qui est déterminée par les causes étrangères ou inconnues. Boèce précise : « le hasard peut donc se définir comme un événement imprévu amené par une rencontre de causes dans l’ordre des faits qui sont accomplis avec un certain dessein » . Dans cette précision de la définition du hasard, on peut lire l’influence d’Aristote.
Ainsi, nous retenons chez Boèce que le hasard est une réalité qui se produit par la rencontre de deux causes. « Cette rencontre et cette intersection des séries causales apparaissent dans le plan issu de l’enchaînement inéluctable qui, ayant sa source dans la providence, dispose toute chose à sa place et en son temps » . Donc, le hasard qui semble aux yeux de l'homme, comme un coursier fougueux, errer sans guide, en somme connaît aussi un frein, subit la loi de la providence divine. Mais dans cet enchaînement de causes liées les unes aux autres, y a-t-il une place pour notre libre arbitre, ou l'activité de l'âme humaine est-elle aussi fatalement jetée à la chaîne, aux lois de la providence divine ? Nous arrivons ainsi au point suivant dans lequel nous traitons de la providence en lien avec le libre arbitre.

II. 2. La providence et le libre arbitre

Boèce pose que malgré la loi de la divine providence, « le libre arbitre existe » , et il n'y a pas de créature raisonnable qui n'en soit pourvue. Tout être en possession de sa raison naturelle est doué de jugement ; par le jugement il distingue et démêle ce qu'il faut éviter ou rechercher; il tend à ce qui lui semble désirable, et il fuit ce qu'il croit qu'on doit fuir. Donc, les êtres pourvus de raison ont aussi la liberté de vouloir et de ne pas vouloir. Mais Boèce pose en principe que cette liberté, ils ne la possèdent pas tous à un égal degré . Les êtres d'un ordre supérieur, les substances célestes ont un jugement pénétrant, une volonté entière et le pouvoir de réaliser leurs désirs. Quant aux âmes humaines, elles sont d'autant plus libres nécessairement, qu'elles se maintiennent de plus près dans la contemplation de l'intelligence divine; elles le sont moins au moment où elles descendent dans des corps, et moins encore lorsqu'elles sont emprisonnées ici-bas dans des membres de chair . Autrement dit, la liberté des âmes humaines s’amoindrit quand elles sont prisonnières de membres matériels. Mais elles tombent au dernier degré de la servitude lorsque, s'abandonnant aux vices, elles sont déchues de leur propre raison. Car, lorsqu'elles détournent leurs regards de la suprême lumière, c'est-à-dire de la vérité, pour les abaisser vers les ténèbres du monde inférieur, bientôt l'obscurité de l'ignorance les enveloppe, les passions mauvaises les troublent, et quand elles s'y livrent sans réserve, elles aggravent encore l'esclavage auquel elles se sont volontairement soumises. Ainsi, elles trouvent en quelque sorte leur servitude dans leur liberté même. Or, cet usage qu'elles font de leur volonté a été prévu de toute éternité par la Providence divine, qui les traite selon leurs mérites et conformément à l'arrêt que d'avance elle avait prononcé : « Dieu voit tout et entend tout » . Le ‘’créateur’’ de l’univers est « présent, passé, avenir, il distingue tout d’un seul rayon de son intelligence ; il est le seul qui voie tout, il est donc le seul qui mérite le nom de soleil » . Mais alors, s'imaginer que Dieu prévoit les choses futures parce qu'elles doivent arriver, n'est-ce pas penser tout à fait que les événements accomplis dans le passé sont la cause de sa souveraine Providence? S'il prévoit de toute éternité, non seulement les actions des hommes; mais encore leurs desseins et leurs intentions, la liberté n'est-elle qu'un vain mot ?
Boèce, dans sa réponse à cette question, va chercher à prouver que les événements prévus arrivent nécessairement sans que pour cela la prescience de Dieu nécessite leurs causes efficientes. Il se sert, pour expliquer sa pensée, d'un exemple familier. Si quelqu'un est assis, l'opinion de ceux qui le croient dans cette posture est nécessairement vraie ; et en retournant la proposition, on peut dire que si ceux qui le pensent ainsi, pensent vrai, il est nécessaire en effet qu'il soit assis. Il y a donc nécessité des deux côtés : et l'existence de la chose et la vérité de l'opinion qu'on en a, sont alors également nécessaires. Cependant la vérité de l'idée de celui qui me croit assis, n'est point la cause de ce que je le suis ; mais plutôt c'est parce que je suis effectivement assis, que son idée est vraie ; et quoique la cause de ma situation vienne d'ailleurs, cependant il y a, ainsi, nécessité des deux côtés . Boèce pense qu’on doit raisonner de même de la Providence et des choses futures . D'ailleurs, y a-t-il rien de plus déraisonnable que de dire que des événements futurs soient la cause de la prescience de Dieu ? Croire que si Dieu prévoit les choses futures c’est parce qu’elles doivent se produire, cela ne revient-il pas à penser que les faits passés sont la cause de cette souveraine providence ?
Boèce trouve que soutenir que des événements passés et futurs soient la cause de la prescience de Dieu met à néant la liberté de l’homme . Et donc, à quoi bon, en effet, des récompenses et des peines pour les bons et pour les méchants ? Il n'y a ni mérite ni démérite là où il n'y a pas mouvement libre et volontaire de l'âme. Il faudra considérer comme le comble de l'iniquité ce qui nous paraît pourtant de toute justice, c’est-à-dire la punition des méchants ou la récompense des bons, puisque ce n'est pas leur volonté qui les porte au bien ou au mal, mais qu'ils y sont poussés par la nécessité de ce qui doit être. Il n'y aurait donc plus ni vices ni vertus, mais un mélange confus d'actions indifférentes; et, ce qui surpasse toutes les monstruosités imaginables, si l'ordre établi dans le monde vient uniquement de la Providence, et si rien n'est laissé à l'initiative humaine, il faudra imputer même nos crimes à l'auteur de toutes les vertus. A quoi bon encore l'espérance et la prière ? Pourquoi espérer, pourquoi prier, en effet, si tous les objets de nos vœux sont soumis à un ordre d'événements irrévocablement fixé ? Alors serait supprimé le seul commerce qui existe entre les hommes et Dieu. « Il serait donc inévitable que […] le genre humain s’éloigne de sa véritable source » et succombe à sa misère.
Pour Boèce donc, « la prescience divine n’est pas une cause de nécessité pour les événements futurs, elle ne gêne donc en rien le libre arbitre » . Mais comment peut-il se faire que des événements qui ont été prévus n'arrivent pas ?
Remarquons que Boèce dans son raisonnement ne prétend pas que les événements prévus par la providence peuvent ne pas arriver, mais que ces événements, bien qu'ils se produisent, n'avaient en eux aucune nécessité qui les obligeât à se produire. En définitif, la préconnaissance divine ne modifie pas la modalité de l’action, nécessaire ou libre et le fait que Dieu contemple dans l’unicité d’un présent éternel la totalité des actes et des événements qui se déroulent pour nous dans le temps ne signifie pas que l’acte libre cesse d’être le fruit d’une volonté de sa divine providence. Du haut de sa prescience, Il assiste à tout; son regard éternel et toujours présent se rencontre toujours avec nos actions à venir, et, selon leurs mérites, il distribue des récompenses aux bons et des châtiments aux méchants .
En bref, nous retenons de ce deuxième point sur la conception boécienne de la providence que celle-ci et destin sont des ordres ou lois de l’intelligence qui produit le monde. Providence et destin sont différents mais l’un est subordonné à la l’autre. Sans ces lois, le monde serait abandonné aux caprices du hasard. De même que l’intelligence préexiste à tout, de même la providence prévoit tout ; par là elle la prescience divine. Mais cette prescience divine ne met pas au néant notre libre arbitre.


III. RAPPROCHEMENT ENTRE PLOTIN ET BOECE

D’entrée de jeu, Plotin et Boèce se présentent comme des exégètes de Platon, d’Aristote et des Stoïciens. Presque tous leurs thèmes ont des lieux communs. Leurs œuvres sont ce que nous appelons ici des bréviaires de la sagesse antique. Il y a, cependant, chez chacun un effort personnel dans la synthèse, la hiérarchie des inspirations et dans les conclusions, c'est-à-dire dans les modifications imposées à la pensée antique. Ainsi, allons-nous étudier les points de divergences et de convergences entre Plotin et Boèce.
III. 1. Points de divergences

En ce qui concerne les divergences entre Plotin et Boèce, il faut noter qu’il y’en a très peu. On remarquera que Plotin traite le problème en puisant les éléments de sa pensée plus chez Platon et chez les stoïciens. Dans sa synthèse personnelle, Plotin développe trois hypostases : l’Un, l’Intelligence et l’Ame. L’Un cause l’intelligence, de qui procède l’âme de ce monde. Quant à Boèce, sa pensée se fonde sur les mêmes sources que celles de Plotin, mais dans son développement on se rend compte qu’il est aussi plus proche de la pensée chrétienne sur la providence. La doctrine de Boèce paraît être un mélange de la pensée de Plotin et celle des Pères de l’Eglise à l’instar d’Origène .
Autour de la providence, Plotin et Boèce abordent presque les mêmes thèmes : le destin, le libre arbitre, le mal, le hasard, etc. Sur ce dernier, c’est-à-dire le hasard, les deux penseurs s’accordent à dire que rien n’est produit au hasard. En d’autres termes, dans l’univers où tout est réglé par la Providence divine rien ne peut surgir au hasard. Plotin se limite à ces affirmations tandis que Boèce développe beaucoup plus une définition du hasard en insistant sur l’intervention de la Providence dans le cours des choses humaines. Voilà ce qu’on peut dire concernant les points de divergences même s’ils ne constituent pas une grande différence. Il s’agissait de la différence des nuances. A bien regarder, leurs pensées se trouvent plus convergentes.


III. 2. Points de convergences

Comme Plotin, Boèce distingue la providence du destin et il subordonne le second à la première. Cela a été montré dans l’analyse de la conception boécienne de la providence par rapport au destin où Boèce faisait entendre que par un regard naïf la providence peut se confondre au destin. Mais, ce n’est pas le cas parce que la providence est, selon Boèce, la Raison divine qui est dans le Principe suprême et ordonne tout ; tandis que le destin est l’ordre inhérent aux choses muables que la providence utilise pour mettre ces choses en place. Il y a chez Boèce comme chez Plotin, une subordination du destin à la providence. Pour Boèce, la providence est un ordre des choses et des temps, réuni dans la pensée de Dieu. Tandis que le destin est le même ordre considéré divisé et développé dans le cours des temps. La providence se sert du destin pour exécuter tout ce qui doit se faire dans l’univers. Le destin est considéré comme le ministre de la Providence, car il développe et ordonne dans la suite des temps ce que la providence a réglé par un seul acte de sa pensée. Les choses les plus éloignées de l’Intelligence sont sujets aux lois du destin. Ici, nous pouvons rappeler que toute cette doctrine est celle de Plotin dans l’Ennéade III, Liv. III, §5 où celui-ci dit qu’en haut c’est la providence pure et en bas le destin. Il suffit de lire ce passage pour comprendre la suite du rapport que Boèce établit entre la providence et le destin. Mais, si l’on continue à parcourir les Ennéades (par exemple Enn. IV, Liv. III, §11), on peut encore trouver les éléments de la théorie de Boèce sur la providence et le destin. De ce sujet, on voit qu’il n’y a aucune différence sur la conception du rapport entre providence et destin chez les deux philosophes. Tous deux ont une même vision de la providence qui vient des réalités supérieures et descend dans l’ordre des rangs en se proportionnant dans toutes les choses ; autrement dit en faisant les dons conformes à la nature de chaque chose. Arrivée dans les réalités les plus inférieures c’est-à-dire les plus éloignées de l’Intelligence, elle devient destin.
Les deux auteurs parlent du libre arbitre comme un principe qui est dans chaque âme humaine. Celui-ci fait que les actes commis par les hommes ne soient pas attribués à la providence, mais plutôt que les hommes restent responsables de leurs actes. La providence laisse la liberté à l’homme de produire les événements selon son choix ; mais ces événements sont inclus dans l’ordre de la providence.
En considérant leur refus de la théorie du hasard chez les deux philosophes, nous pouvons dire que l’un et l’autre appliquent de façon rigoureuse le principe de causalité selon lequel tout être, toute chose multiple présuppose un principe ou cause intérieure simple.

Enfin, nous remarquons que les deux doctrines se ressemblent sur plusieurs points et cela se comprend bien parce que les deux philosophes s’inscrivent dans le même courant philosophique : le néoplatonisme, dans lequel Plotin est considéré comme l’un des promoteurs et Boèce comme l’un des continuateurs.
IV. APPORT PHILOSOPHIQUE

La notion de la providence, n’est pas un thème dépassé. Dans l’histoire, surtout avec les philosophes et les théologiens du Moyen Age, il a été l’objet de nombreux discours. Ce mot providence, au sens de la prédisposition divine et de sollicitude envers le monde, se trouve pour la première fois chez Hérodote. Mais la chose était déjà présente dans la théorie des présocratiques : le merveilleux ordre du cosmos conduisait Héraclite et Anaxagore et Diogène d’Appolonie à la persuasion qu’il devait y avoir une raison universelle ordonnant à un but le jeu changeant des forces du monde et se manifeste en dirigeant et en conduisant les éléments particuliers de l’univers.
L’Eglise est héritière de ce concept de providence. Dans les textes de ses premiers Pères, la « Providence » est écrite avec ‘’P’’majuscule. C’est Dieu qui se rend proche du monde et qui se manifeste dans son action immanente par la façon dont il conduit avec la puissance et sagesse son peuple choisi. La formulation de l’idée de la Providence divine est une vérité à laquelle on croit et on peut confesser sans se laisser tomber dans une théorie pure et spéculative. St Augustin conçoit l’idée de Providence d’une façon immanente. En effet, St Augustin est considéré comme le plus important parmi les auteurs chrétiens qui se sont inspirés de la doctrine de Plotin sur la Providence, soit par le développement qu'il a, dans ses écrits, donné à la question de l'origine du mal, soit par les emprunts qu'il a faits à l’auteur .

La réflexion plotinienne et boécienne sur la providence comporte une grande richesse philosophique. En suivant les pensées de Plotin et de Boèce, on peut y considérer deux grands héritages : d’abord ce sont des pensées qui développent le sens de la responsabilité en évitant toute forme de fatalisme ; ensuite ce sont des pensées qui ont une vision optimiste du monde. Mais nous pouvons signaler que la conception de la providence chez Plotin diffère sur quelques points de vue de celle de la philosophie chrétienne au moyen âge. Cette dernière, partant des Ecritures Saintes (Rm13, 1-7), dit que tout pouvoir vient de Dieu et le chrétien n’a qu’à obéir à ses dirigeants, même s’ils sont des tyrans. L’authentique chrétien doit se soumettre à ses dirigeants et les aimer car c’est à Dieu qu’il obéit et c’est Lui qu’il aime. Suivant la croyance à la Providence, le moyen âge pense que tout ce qui arrive, dirigeant tyrannique ou bienveillant, est voulu par Dieu : « Le chrétien se soumet aux aléas bons ou mauvais de la vie, car ils sont voulus par Dieu » . Plotin n’est pas d’accord avec cette manière de concevoir la Providence, car pour lui, les méchants dominent parce que les bons leur laissent le devenir, grâce à la lâcheté de leurs sujets les méchants ont le pouvoir. On comprend bien que la responsabilité de l’homme selon Plotin va même jusque dans la manière dont il se laisse gouverner. Il appartient à l’homme de lutter contre toute forme d’injustice et non à Dieu. En partant de cette manière de voir les choses chez Plotin, on peut dire sans trop se tromper que si les contemporains de Plotin avaient continué à réfléchir dans la même optique sur le gouvernement de la Cité, ce que les modernes (les Lumières) ont acquis comme droit de résistance à l’oppression, serait venu très tôt dans l’Antiquité sans attendre la traversée du Moyen Age.

Quant à la vision optimiste du monde, on peut dire que la pensée plotinienne et la pensée chrétienne médiévale convergent sur plusieurs points. Accepter et suivre l’ordre de la nature est une pensée commune.

Par ailleurs, la providence divine n’agit pas à la façon d’un facteur intervenant à côté des autres ; elle n’est ni ersatz ni concurrence, mais origine et garantie de l’ordre interne de la nature et de la liberté humaine. Le lieu de l’intervention divine providentielle dans le monde et dans l’histoire reste par conséquent une liberté orientée vers Dieu, une liberté que l’homme doit assumer en pleine responsabilité : c’est à travers elle que Dieu entend sans cesse « venir au monde » et se vérifier temporellement, lui et sa sollicitude pour les hommes. Aucun processus macro ou microbiologique ne saurait suffire à expliquer de façon satisfaisante cette situation de face-à-face et de compagnonnage de Dieu et de l’homme, une situation marquée par la liberté de la personne. L’engagement personnel de Dieu se traduit dans une providence qui, à travers son appel à la liberté humaine, n’a donc en rien à contredire des lois internes de la nature. Cependant, durant la période médiévale, nous devons, de ce fait, noter que la foi chrétienne en la providence ne conduit donc ni au fatalisme ni à la passivité à l’égard du monde et de l’histoire , bien au contraire : du fait que l’intervention providentielle de Dieu dans celle-ci s’accomplit normalement dans l’homme et par l’homme , qu’elle implique donc l’action de la liberté et celle de le foi , la confiance en la providence divine nous conduit à agir dans le monde vraiment de façon intelligente et créatrice de sens .Le don de soi à Dieu , accomplissement de la foi , et l’engagement total en vue de façonner l’histoire suivant la volonté divine sont les deux faces inséparables de la foi en la Providence.




Conclusion

Tout au long de cette étude philosophique, il a été question de la providence. Le thème qui a préoccupé de nombreux philosophes dans l’histoire. En ce qui nous concerne, nous l’avons étudié chez Plotin et Boèce. Il s’agissait de chercher comment comprendre leurs conceptions de la providence. Il s’est avéré que le thème de la providence suscite beaucoup d’autres thèmes qui tournent autour et permettent sa compréhension. C’est ainsi qu’on ne pouvait pas aborder la question de la providence et ignorer d’autres questions comme la génération du monde, le mal, la liberté de l’homme ou le libre arbitre dans le sens boécien, le destin et le hasard. Une analyse de ce dernier a été plus développée chez Boèce.
En premier lieu, nous avons étudié la conception plotinienne de la providence. Nous avons vu que Plotin a suivi la voix de son maître Platon et a critiqué les théories de quelques anciens philosophes, notamment la théorie du hasard des Epicuriens, la théorie de l’universelle détermination des causes, la théorie de la création ex-nihilo des chrétiens, qui nous font soit douter de la providence, ou soit avoir une idée inférieure de celle-ci. Plotin, pour sa part, suppose que la providence existe, il se consacrera ainsi à exposer son mode d’action dans le monde et les événements qui arrivent dans ce monde. Il arrive à la conclusion selon laquelle la providence est la conformité de toute la nature à l’intelligence qui la cause, la génère, la produit. C’est cette conclusion qui va nourrir tout le reste du raisonnement de Plotin sur la providence : la providence comme production naturelle des êtres n’est pas la cause des maux de ce monde, car elle nous a produit libres; elle est la justice distributive et nécessaire de l’intelligence. C’est ce qui a amené Plotin à poser l’unicité de la providence, mais celle-ci montre les deux faces. En haut, elle est la providence pure et en bas, est le destin c’est-à-dire la providence particulière de chaque être.
En second lieu, il a été question d’étudier la conception de la providence chez Boèce. Celui-ci, dans son ingéniosité réussit avec aisance à mettre en commun les notions profanes comme le hasard, aux notions chrétiennes notamment la providence sur lesquelles, nous avons axé notre réflexion. Cependant, il importe de relever que c’est à travers l’usage d’une méthode rationnelle que Boèce nous présente le fruit de sa méditation ou la réflexion philosophique. C’est cette rationalité rigoureuse qui fait la grandeur de l’auteur et lui donne sa signification historique. Il est par conséquent une source d’inspiration pour les nouvelles générations. Bien plus, dans son analyse minutieuse de la notion du hasard, que le philosophe Boèce amène ses lecteurs à mettre en valeur leur intelligence. C’est ainsi qu’à travers la recherche de la nature des réalités, on arrive à éviter l’incertitude, qui est susceptible de produire des sentiments d’insécurité, d’inquiétude ou d’angoisse. D’où cette tentative de Boèce de traiter ces concepts du hasard et Providence qui sont couramment si vulgaire.
Le rapprochement entre Boèce et Plotin nous montre que le premier est resté fidèle au second dans sa conception de la providence en rapport avec le destin et la liberté de l’homme. Les pensées de deux philosophes convergent sur un bon nombre de points. Les petites différences qu’on peut relever ne seraient que des différences de nuances.
La réflexion sur la providence nous révèle que la conception de la providence a eu une grande influence sur la pensée chrétienne surtout au Moyen Age. Saint Augustin puise chez son maître Plotin pour explique le gouvernement du monde par Dieu. Ce n’est pas seulement la pensée chrétienne que cette conception enrichit, c’est à toute la philosophie. Cela parce que comprendre la providence dans le même sens que Plotin et Boèce nous apporte une nouvelle vision du monde, une vision optimiste, elle approfondit aussi en nous le sens de la responsabilité.

BIBLIOGRAPHIE

- BOECE, La Consolation De la Philosophie, trad. par A. BOCOGNANO, Paris, Garnier, 1934.
- CROUZEL H., Origène et Plotin. Comparaisons doctrinales, Paris, Téqui, 1991.
- PIOTTE M., Les neuf clés de la modernité, Québec, Québec Amérique INC., 2001.
- PLATON, La République, trad. par R. BACCOU, Paris, Flammarion, 1966.
- PORPHYRE, Vie de Plotin, II, 40, trad. par É. Bréhier, Paris, Les Belles Lettres, 1924.
- SAINT THOMAS D'AQUIN, Somme théologique, Tome I, Paris, Cerf, 1990.

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