dimanche 9 mai 2010

retour en Dieu

INTRODUCTION :
LE RETOUR EN DIEU : Une Théologie Mystique

Le terme Théologie mystique est dans un sens large la croyance à la possibilité d’une union intime et directe de l’esprit humain au principe fondamental de l’être. Cette union constitue à la fois un mode d’existence et un mode de connaissance étrangers et supérieurs à l’existence et à la connaissance normales .Tout est bâtit autour de l’extase, comme point culminant vers lequel tout s’oriente dans la doctrine et dans la pratique. L’extase est considérée dans le mysticisme comme l’achèvement de la destinée humaine dans la possession pleine de la vérité et du bonheur.
La philosophie de Platon possède un caractère mystique avec la notion des Idées et surtout du Bien qui gouverne le monde et qui est sa justification. Les réalités éternelles sont de l’ordre des Idées et le monde n’en est que la copie. L’homme accompli est celui qui vit selon les réalités d’en haut.
Nous voyons clairement que la philosophie est avant tout une théologie et elle ne traite de l’homme et du monde qu’en fonction d’un principe premier, transcendant, cause universelle, en les considérant comme ses créatures manifestant sa perfection ou cherchant à remonter vers lui.
C’est à ce niveau de retour que se trouve précisément le travail que nous élaborerons tout au long de cette réflexion. Pour ce faire, nous nous attarderons sur la doctrine du néoplatonisme avec Plotin qui recommande l’ascension de l’âme vers Dieu comme principe de son maintien et de sa reconnaissance. Ensuite nous verrons Proclus son disciple qui, à son tour considère le retour à Dieu comme accomplissement de l’âme, enfin nous étudierons des croyants qui, dans leur effort de fonder leur foi en raison vont montrer aux autres chrétiens comment s’unir à Dieu, la cause de notre vie, d’où nous découlons pour ainsi atteindre le bonheur qui était le nôtre avant la chute originelle.





I. PLOTIN ET L’ASCENSION DE L’AME A L’UN ET LA FONCTION DE LA PHILOSOPHIE

Il faut d’abord distinguer chez Plotin un double dynamisme, caractéristique de sa philosophie : dynamisme de causalité, c’est-à-dire, de procession à partir de l’Un et un dynamisme de conversion vers l’Un comme principe originel. Mais il faut aussi souligner que la ligne directrice de la pensée plotinienne est l’idée de l’âme dans son voyage ascensionnel vers l’Un, son principe unique. Et pour bien pénétrer et comprendre la fin du voyage qui vise à atteindre l’Un, il faut s’interroger sur l’itinérant qui est l’âme.

1. La nature de l’Ame

Quand il faut remonter à l’Un, la recherche de la connaissance de l’âme est d’une exigence fondamentale comme le souligne Plotin : « si nous désirons atteindre cette contemplation qui est l’objet de notre amour, il est naturel de rechercher ce qu’est l’être qui fait cette recherche. » Pour Plotin, il n’y a pas de doute quant à ce qui est de la réponse. « Ce qui cherche c’est l’âme, et il faut connaître quel être elle est, elle qui cherche afin qu’elle se connaisse d’abord elle-même et qu’elle sache si elle a le pouvoir de faire une telle recherche, si elle a un œil capable de voir, et s’il convient de faire la recherche. » Dans cette démarche tout dépendra de l’attitude de l’âme et de sa préparation, puisque l’Un ne peut se refuser à qui est bien disposer pour le recevoir.
Dans l’acception plotinienne, l’âme est un agent de participation, elle joue le rôle de médiateur entre le sensible et l’intelligible. De l’Intellect divin comme premier né de l’Un, procède l’Ame. Par cette création, l’âme ne s’incline pas vers le sensible, ne s’attache pas à un corps. C’est elle qui domine l’univers, le possède et le soutient. « L’âme universelle est toujours dans la région supérieure parce qu’il n’y a pas pour elle de descente vers le bas et de conversion vers les choses sensibles. » Les âmes individuelles émanent de cette Ame universelle. Ces âmes individuelles descendent dans les corps qui leur correspondent, des demeures que l’Ame universelle leur a préparé d’avance. Ces âmes individuelles arrivées dans les corps, leur fonction consiste dans le commandement et le perfectionnement du corps. Cette raison qu’a l’âme, celle de descendre dans le corps pour l’animer et l’illuminer ainsi conçue, la descente dans les corps ne peut être conçue comme une chute puisqu’elle relève de la procession. Mais alors, si l’âme s’attache au corps elle s’aliène, s’isole et dans ce cas, elle a tendances à se diviser et éprouve des sensations.

Ces âmes qui ont pris goût pour les corps ne peuvent pas se perdre infiniment, car même si l’âme s’aliène en s’attachant au corps, elle garde sa puissance entière de tendre vers l’Un et de retrouver son unité. Cette âme est comme un feu qui, « pouvant tout consumer serait contraint de brûler quelques petits objets alors qu’il garde sa puissance entière. » Ceci revient à dire que l’âme connaît la chute quand elle s’attache fermement au corps, mais reste toutefois capable de contempler son origine. Plotin s’inspirant d’Empédocle qui se dit lui-même exilé et errant partout affirme que l’idéal est le retour de l’âme à son haut rang après avoir connu la chute dans la vie terrestre. Plotin va en prendre compte et tirer la conclusion que l’âme retirée de son origine tente de retourner au principe. Car, « le retour au principe est la tension substantielle et religieuse de l’âme, la fin unique de sa volonté. Cette ardente rechercher est le voyage de l’âme vers sa destinée. » A la fin de ce voyage, l’âme va récupérer son unité de jadis, va se redéifier car, « en se transportant vers Lui, les âmes sont des dieux ; car un dieu, c’est un être attaché à l’Un. »

En restant attachées aux corps, les âmes ignorent leur nature, elles sont dégradées par une trop forte préoccupation pour les corps et ainsi tous les maux et malheurs de l’humanité s’en suivent. C’est pourquoi le vrai bonheur consistera qu’en un retour de l’âme à une vie selon sa nature, c’est-à-dire, selon la sagesse retour qui ne s’arrêtera qu’à l’Un. Et comme le dit Platon, l’âme doit redevenir « semblable à Dieu.» Et pour Plotin, il faut développer une « discussion », une philosophie pour aider l’âme de ressembler à son Dieu. Cette discussion « instruit l’âme et lui rappelle en quelque sorte sa race et sa dignité. » Plotin va distinguer ainsi trois phases à travers lesquelles l’âme réussit son retour à l’Un. Il s’agira du retour de l’Ame à elle-même, de l’Ame devenue Intellect divin et de l’union totale de l’âme à l’Un.

2. Le retour de l’Ame à elle-même
Le retour de l’âme vers l’Un est une démarche d’intériorisation. « Il s’agit tout d’abord de la découverte de la nécessité pour chacun de s’unifier, pour ce faire, d’opérer un retour sur lui-même, par une vraie intériorité. » Comme l’Un « est toujours présent parce qu’il n’y a en lui aucune altérité, nous lui sommes présents quand nous n’avons plus, nous-mêmes, aucune altérité. Ceci revient à dire que le retour de l’âme à l’Un « est en premier lieu recommandé par l’idée de détourner l’âme des éléments qui causent son inauthenticité » , c’est-à-dire qui occasionnent en elle l’altérité.
Il y a donc abandon des choses que l’âme considère comme imparfaites et inférieures pour tendre vers le principe que ces choses présupposent. Ainsi, en considérant la beauté extérieure des corps, l’âme arrive à la reconnaissance de sa propre beauté. « Par là, l’âme est amenée à regarder la beauté qui est dans les actions et dans les lois, à voir que celle-ci est pareille à elle-même dans tous les cas, et conséquemment regarder la beauté du corps comme peu de chose.» L’âme ainsi conduite ne s’attardera à la beauté d’un objet car celle-ci est diminuée. Il y a pour l’âme une beauté bien supérieure. « Celui qu’on aura guidé jusqu’ici […] après avoir contemplé les belles choses dans une gradation régulière, arrivant au terme suprême, verra soudain une beauté d’une nature merveilleuse […] beauté éternelle, qui ne connaît ni la naissance, ni la mort. » Pour y arriver, l’âme doit mener une vie morale, par son retour sur elle-même, et pratique surtout les vertus : la Justice, Courage, Sagesse et Tempérance. C’est par la philosophe, elle qui offre les méthodes de penser, méthodes qui font découvrir la nature intellectuelle de l’âme. La philosophie est comme une thérapie du comportement et de la pensée. « L’idéal du sage, nous dit Plotin, est de pénétrer le système, voir le principe […] se détacher des choses d’ici bas. » L’âme et Dieu étant en quelque sorte des semblables, la tâche est d’ « unir le semblable au semblable ». Il faut donc que l’âme revienne sur elle-même pour voir qu’elle est une nature divine et régnant sur le monde sensible. Elle trouve comme un devoir de se libérer de sa grande préoccupation pour les choses matérielles et inférieures. Cette prise de conscience qu’effectue l’âme d’elle-même est une purification qui s’oppose aux procédés chrétiens de la lutte morale, du repentir et de l’expiation. Ils conçoivent le salut de l’âme en extériorité. La purification dont parle Plotin « consiste dans l’affranchissement – απαλλαγή – de l’âme de tous les facteurs qui l’attachent à la vie ici bas, de toutes les réalités inférieures qui la contaminent de sorte que […] son salut devienne possible. Parmi les éléments qui causent son inauthenticité, notons le sensible.

L’attachement au corps affaiblit l’âme, il lui fait subir le mal, le chagrin, le vice, le mal. Pour Plotin, l’âme n’est pas la forme du corps, elle en est essentiellement séparable. L’essence de l’âme réside dans la partie suprasensible de l’âme par laquelle on communie avec le divin. L’âme doit donc s’unir au divin et c’est lorsque l’âme peut chanter sans instruments qu’elle est réellement une. Ainsi « ni le renoncement à l’égoïsme, ni l’humble soumission à Dieu - disposition indispensable à tout âme chrétienne se préparant à s’unir à Dieu - ne nous fait selon Plotin approcher l’Un. » La chute platonicienne désignée par « la perte des ailes » est chez Plotin moins une faute originelle que la métaphore de l’expérience vécue. Ce qui veut dire que le déplacement de l’âme dans son passage au rang transcendant n’est pas spatial mais métaphysique. L’âme, dans son entreprise de s’élancer vers les réalités supérieures doit oublier toutes les préoccupations d’ici bas. Car « il est bon, dès ici-bas, de s’affranchir des souci des hommes. Il faut donc les oublier En ce sens, il est vrai de dire que l’âme bonne est oublieuse. Elle s’enfuit hors du multiple et réduit le multiple à l’un. » Puisque l’âme doit revenir sur elle-même pour sa purification, il ne s’agit pas en cette première étape de renoncer à tel ou tel objet, mais renoncer à une optique, à un système de valeurs, aux jugements formés dès lorsque l’âme sympathise avec le corps.

3. L’Ame devenue Intellect divin

Vu ce qui précède, la purification de l’âme, c’est-à-dire, son retour à l’Un, consiste dans l’absence des penchants vers le corps, dans la chasse aux croyances imposées du dehors, dans un changement de regard. « I, 6,8 » et surtout dans la concentration dans l’âme supérieure. Pour ce faire, Platon nous recommande de nous séparer du corps. Plotin à la suite de Platon établira une clarification en disant que quand « Platon nous recommande de nous séparer du corps, il ne veut pas parler d’une séparation locale […] Il entend qu’on ait pas d’inclinations vers le corps, même en imagination, et qu’on lui reste étranger. » Cette purification se réalise donc par le choix de la vie intellectuelle.

L’âme dépouillée et affranchie des attaches du corps, coïncide avec l’intelligence. En ce moment commence la vie de la pensée comme activité la plus féconde. Ainsi, il y a dépassement de l’âme pour devenir intellect divin, puisqu’elle ne peut être dans son intimité qu’en coïncidant avec l’intelligence. Ce dépassement est alors nécessaire dans ce processus du retour de l’âme à l’Un puisque l’âme se constitue toujours par rapports à ses niveaux supérieurs. Il s’agit là d’un niveau de lumière, où il ne manque de rien et où tout est principe et fin à la fois. A ce niveau, le rôle de la philosophie sera de rendre consciente de la présence immanente de l’Intellect divin en elle.
La philosophie lui apprendra aussi à agir comme l’Intellect divin et par conséquent, devenir comme lui toute intelligence. Au niveau de l’Intellect divin, « tout y est partout, tout est tout, chacun est tout ; la splendeur est sans borne. » Arrivée là, l’âme entre dans une sorte d’extase et devient toute sagesse comme intellect divin.

4. L’union totale de l’Ame à l’Un

L’âme devenue Intellect divin et toute sagesse va droit vers l’union parfaite et définitive avec l’Un. Cette union ne peut se réaliser que dans le dépassement total de toute pensée philosophique et de toute intellectualité. On ne peut devenir Dieu qu’autant qu’on est conduit par l’intelligence. Mais étant donné qu’elle apporte à l’âme la connaissance qui est toujours participation en établissant des rapports, elle doit être abandonnée. Et par ce dépassement, il faut entendre que « l’esprit n’est pas anéanti pour que le salut de l’âme devienne possible, il est dépassé. »
Cette troisième étape de l’âme vers l’Un est réalisée par l’intermédiaire de l’amour. Par cette étape, il y a mutation de la contemplation en vision. Plotin recommande en effet, « enfuyons-nous dans notre chère patrie […] il faut cesser de regarder et, fermant les yeux, échanger cette manière de voir en une autre. » Plotin ajoutera plus tard, « L’âme passionnée pour ce qu’elle voit à présent auprès d’elle, s’élève vers son objet plus haut » Plotin concède à l’amour un double caractère. Il est d’abord l’aspect de l’infériorité d’un être à l’égard de la nature désirée, il exprime un manque. Il est ensuite le moyen d’y remédier en s’élevant et en s’attachant au supérieur. L’amour est comme l’intermédiaire entre celui qui désire et l’objet désiré, il est comme un œil qui permet de voir son aimé.

L’âme dès qu’elle est transportée vers l’Un, écarte toute forme, même celle de l’intelligibilité, celle de la pensée qui est en elle, car la pensée ne peut s’empêcher de faire la distinction entre le sujet et l’objet, alors que l’union entre l’âme et l’Un est totale et parfaite, sans objet ni sujet. Elle renonce au réseau de l’intelligibilité et se prépare à se faire aussi semblable que possible à Dieu. Comme les hommes, pour que leur amour grand et effectif, il leur faut aller au-delà de l’union visible. Les amants s’efforcent de ressembler à leurs aimés, la ressemblance consistant dans la tempérance et la vertu. Comme la beauté est une apparence, les amoureux « se font à eux-mêmes, dans leur âme indivisible, une image invisible ; alors l’amour naît. » Et comme Platon le dit bien dans le Phèdre l’homme qui aime se voit lui-même dans son aimé sans toutefois se rendre compte.





II. LE REOUR EN DIEU COMME ACCOMPLISSEMENT DE L’AME CHEZ PROCLUS

Proclus Diadoque (410 - 485) fut le dernier grand professeur platonicien. Il est née en Constantinople dans une famille plutôt aisée et a été envoyé à Alexandrie pour les études. A Alexandrie, il est élevé de Olympiodore le jeune et le mathématicien Héron. Il quitta Alexandrie pour Athènes où il entra dans l’Académie de Platon. Là il fut l’étudiant de Plutarque et de Syranius. Il devint plus tard professeur et directeur de l’académie et il a eu à systématiser la pensée de Jamblique. Aussi bien que poète, philosophe, et scientiste, Proclus fut aussi partisan d’une religion universelle mais il était totalement contre le christianisme.

1. LE SYSTEME DE PROCLUS

1. L’UN-
Tout comme les autres auteurs néoplatoniciens, son système est une combinaison des éléments Platoniciens et Aristotéliciens. Mais contrairement à Plutarque, et à son maître Syranius, il présente un univers plus élaboré que celle de Plotin. Il commence avec l’Un, qui représente l’unité et qui est source de tout bien, et le principe qui crée tous les autres êtres.

Tous ces êtres créés par l’Un ont un double appartenance avec l’Un parce qu’ils proviennent de l’Un et doivent opérer un retour vers Lui afin d’être accomplis. Ce qui est original dans le système de Proclus c’est l’insertion des uns individuels qu’il appelle « henads » entre l’Un et l’Intellect divin. C’est ces uns individuels sont au début des chaînes causales et sont responsables des caractères particuliers qu’ont les êtres. Elles sont identifiées aux dieux grecs (Apollon & Hélios) et elles servent à protéger l’Un de la multiplicité et à attirer le reste de l’univers vers l’Un. Entre l’Un et les henads se situe deux principes qui sont les principes de la production fertile ou l’ « apeiron » et la nature contrôlée de la production ou le « peras ».

2. L’Intellect divin « nous »
Après l’Un vient l’intellect divin ou le « nous » qui peut être comparé aux formes de Platon. Cet Intellect est à la fois pensé et être, elle a son contenu et son objet. Comme être le « nous » est le produit de l’Un mais de par la pensée, elle tend à retourner vers l’Un. Donc à travers la pensée, le « nous » essaie de saisir l’Un mais à cause du fait que l’Un est insaisissable, il conçoit plusieurs perspectives de l’Un qui deviennent son contenu. Proclus systématise plus ce cycle par un triple mouvement à savoir : subsister, procession, retour ; « mone », « proodos », « epistrophe », qui veut dire que l’intellect reste dans l’Un comme son origine, il provient de l’Un et devient une entité séparée, et retourne à l’Un qui implique qu’il ne se coupe pas complètement de sa source mais reçoit la bonté qui est l’identité de l’Un en lui.

Proclus dégage trois moments dans l’Intellect qui sont l’intelligible, l’intelligible intellectuel, et l’intellectuel qui correspondent à l’objet de la pensée, le pouvoir de l’objet à être saisie par le sujet et le sujet pensant. Avec l’intellect, émerge la multiplicité qui permet à un être d’être différant d’un autre. L’intellect aussi est en dehors du temps parce qu’il peut saisir d’un seul coup tous les moments de sa vie. Comme second principe, l’intellect donne lieu à des intellects individuels qui eux aussi tiennent une place dans le cosmos de Proclus.

3. L’Ame (psuche)
L’âme pour sa part émane de l’Intellect divin et est le troisième principe dans le système platonicien. Tout comme l’Intellect divin essaye de saisir l’Un en vain, l’âme aussi essaye à son tour de saisir l’intellect et se fait aussi des idées sur celle-ci. C’est de l’âme que proviennent le corps et le monde matériel. Les âmes individuelles ont la même structure que le principe de l’âme mais sont plus faibles. Elles ont la tendance d’être envoûtées et conquis par le monde matériel lorsqu’elles se rassemblent au corps après la naissance. Dans cette union, nos passions tendent souvent à combler notre raison et selon Proclus, seul la philosophie à la capacité de libérer l’âme de cette assujettissement aux passions vains, la rappeler de son origine dans l’âme, l’intellect, et dans l’Un et la préparer non seulement à effectuer un retour vers cette hiérarchie mais aussi d’éviter de tomber aussitôt dans un autre corps après la mort.





4. Le Retour final

Il faut le rappeler tout d’abord que cette union entre l’âme et l’Un est une union de type mystique. Mystique parce que « c’est une croyance à la possibilité d’une union intime et directe de l’esprit humain au principe fondamental de l’être, union constituant à la fois un mode d’existence et un mode de connaissance supérieurs à l’existence et à la connaissance normales » Proclus utilisera l’expression d’ascension intérieure pour mieux l’expliquer. Elle est aussi qualifiée d’expérience mystique parce qu’elle s’inscrit au-delà de l’activité rationnelle et discursive. Pour atteindre l’union mystique l’âme doit parcourir un itinéraire en s’élevant à travers les niveaux hiérarchiques de la réalité. L’âme parcourra les étapes du progrès spirituel, c'est-à-dire opérera une radicale transformation de son être. Cette transformation de soi est connaissance de soi, c'est-à-dire connaissance de ce dont l’âme dépend.
Se connaître soi-même pour l’âme c’est découvrir qu’elle dépend d’un intellect supérieur et divin qui l’illumine et qui lui permet de penser, et qu’elle émane d’un bien transcendant supérieur à l’intellect et donc l’attraction s’exerce sur elle. Il ne s’agit pas donc d’un itinéraire théorique parcouru par le raisonnement, mais d’une transformation ontologique.
On peut donc dire que cette expérience commence à partir du moment où l’âme entre en contact avec l’intellect divin, c'est-à-dire, où elle s’élève à l’intérieure d’elle-même jusqu’à son sommet, jusqu’au point où elle émane de l’intellect. L’intellect à son tour a deux rapports avec l’Un. D’une part, il pense comme l’intellect, les formes qui sont engendrées en lui et d’autre part, il éprouve précisément, dans l’ivresse amoureuse de Plotin, le contact originel avec l’Un, dans la mesure où la réalité qui émane de l’Un et va devenir l’intellect, regarde l’Un, désire l’Un d’une manière infinie et indéterminée.
En tout nous pouvons dire que ce retour peut se résumer en ces trois étapes : « l’effort d’abstraction pour redevenir âme, […] effort d’intuition pour redevenir esprit, […] effort d’extase pour redevenir l’Un. »
Avec Proclus nous voyons l’importance de la philosophie en ce sens qu’elle est l’un des aspects qui servent à libérer l’âme de sa fascination au corps et à la restaurer à sa vraie place. Au-delà de sa place, l’âme a comme but l’union à l’intellect et après comme but ultime l’unification à l’Un.

III. L’ASCENSION DE L’AME CHEZ GREGOIRE
DE NYSSE

Introduction
Dans son introduction à la Vie de Moïse, le Cardinal Daniélou écrit : « le but de la vie spirituelle est de rendre l'âme à sa vraie nature. Cette restauration se fait par un retour de l'âme à elle-même et par la purification de ce qu'elle porte en elle. Cette vraie nature de l'âme, c'est d'être image de Dieu. C'est cette image qu'il s'agit de dégager en la purifiant de tout revêtement étranger qui, comme la rouille, efface l’effigie . » Tout ceci est commun à Plotin et saint Grégoire de Nysse.

1. La vie de l’auteur
Grégoire de Nysse appartenait à une famille chrétienne noble de dix enfants. Son père Basile l’ancien, originaire du Pont était rhéteur à Néocesaré. Sa mère s’appelait Emmelie. Il est le petit frère de l’Evêque de Césarée du nom de Basile. Il fut lecteur dans l’Eglise qu’il abandonna plu tard pour devenir maître de rhétorique et puis se maria. Il a une solide culture profane (qui se révèle à travers ses écrits). On n’a pas d’indication précise sur la manière dont il a pu acquérir ses connaissances sur la bible, Philon, Origène…mais on sait que l’éducation religieuse des enfants dans cette famille tenait à cœur aux parents. Beaucoup de ses frères et sœurs furent ascétiques et Grégoire a du avoir leur influence.
Devenu évêque de Nysse vers 372, par la volonté de Basile, il connut des difficultés et fut même déposé par les évêques ariens de la région pour avoir détourné les fonds, par la suite exilé. Après la mort de l’empereur arien en 378 il put rentrer à Nysse. Il prit part au concile d’Antioche de 379, de Constantinople de 381 où il fut précisé la doctrine officielle de l’Eglise face à l’arianisme. Théodore le proposa comme défenseur de l’orthodoxie. Il est mort en 394.






2. La conception de l’âme chez Grégoire de Nysse

Nous partons de la conception chrétienne de Grégoire que l’humanité est créée par Dieu. L’âme n’existe pas à l’état isolé. Elle fait partie de l’humanité. L’image de Dieu n’est pas pour lui dans les individus mais dans l’humanité totale. Il dit ceci : « c’est la totalité de l’humanité qui est l’image de Dieu ». L’homme faisant partie de cette humanité a une âme. Il définit l’homme comme « un microscome, contenant en lui-même des éléments dont l’univers est rempli » . Pour lui douter de l’existence de l’âme, c’est douté de celle de Dieu car l’existence de Dieu et l’existence de l’âme sont très étroitement liées. L’harmonie de la création proclame l’existence de Dieu. Grégoire dit ceci : « oui la sagesse qui dépasse l’univers, on peut grâce aux relations qui s’observent dans la nature des êtres, faites de sagesse et d’arts se la représente par analogie, dans cette organisation harmonieuse, mais par l’âme, quelle connaissance, au travers de signes corporels, pourraient en avoir ceux qui, dans les apparences, cherchent la trace de ce qui est cachée » . Ainsi l’âme est puissance qui meut le corps. « Elle est une réalité immatérielle et incorporelle qui agit et meut selon sa nature propre et qui, à travers, les organes du corps, manifeste ses propres mouvements. »

L’âme est une réalité créée, vivante, intellective, principe de connaissance sensible dans un corps fait d’éléments assemblés. « L’âme est une substance créée, vivante, spirituelle, qui introduit par elle-même dans un organisme corporel capable de sensation une puissance vivifiante et propre à saisir les réalités sensibles, tant que l’être capable de recevoir ces dernières présente ses éléments assemblés » .
Ainsi de cette nature et de son rapport avec le créateur, Grégoire conclut que le rapport corps-âme est le même que le rapport dieu- monde. L’âme indépendante du corps échappe à sa dissolution (puisque mêlée au corps comme Dieu est présent au monde).C’est dans ce sillage qu’on comprend la relation corps-âme. Pour lui étant incorporelle et présente dans le corps selon une modalité qui échappe à l’homme, elle survit à la décomposition du corps restant toujours unie aux éléments du mélange.


3. L’ascension de l’âme

Dans sa présentation du processus de purification, l’originalité de Grégoire réside dans sa conception de la double création de l’homme. Il fut d’abord crée dans un état de perfection, à l’origine, le corps était spirituel, incorruptible .Le péché mit fin à cet état et l’homme fut alors créé sensible, sexué et mortel. Ces éléments étrangers, surajoutés et non naturels, lui cachent son véritable moi et l’empêchent de se reconnaître comme image de Dieu. Il lui faudra se purifier de ses passions, de ses tuniques de peau, des sens qui imposent leur domination et jugent du bien et du mal d’après leur propre nature. Le péché réside dans cette adoption d’un mauvais critère, d’une fausse table de jugement. La libération consistera à restaurer en son état primitif l’image de Dieu momentanément cachée. Il insiste particulièrement sur les étapes de la purification qui doit permettre de retrouver ce qui nous fait image de Dieu: la liberté. La restauration intégrale, union avec Dieu, sera donc le terme de ce mouvement. Ce terme ne sera pourtant pas un repos, et c’est l’autre originalité de Grégoire, qui conçoit la perfection non plus comme stabilité mais comme constant dépassement de soi, comme un infini progrès de l’amour de l’âme pour Dieu.

4. Les différentes étapes de l’ascension

Avant de dire en détail les différentes étapes de l’ascension de l’âme, faisons une mise au point sur la purification de cette âme.

1. Purification de l’âme
Cette purification passe par le dépouillement des passions c’est-à-dire abandon effectif du monde. Le dégagement de la vie charnelle, du poids corporel qui appesantit l’âme, de ces tuniques de peau qu’il faut transformer en tunique aériennes « afin qu’au jour de la trompette finale nous puissions nous élever vers les hauteurs » (passage de la mer rouge).
L’attachement à la vie charnelle doit être supprimé sinon il demeure même après la mort. Pour lui le désir est sans doute une passion, mais il est le moyen pour aller à Dieu (avec un bon usage, la vertu) mais c’est un moyen dont peut se passer l’âme libérée des passions. L’âme doit être orientée vers le beau et le bien sinon elle risque de s’orienter vers ce que l’on n’a pas là commence le problème car Dieu ignore l’espoir et le souvenir qui naissent du désir mal orienté. L’âme orientée vers Dieu ne connaît plus le désir auprès de Dieu ; l’amour du beau ne peut jamais cesser. Notons que pour Grégoire les passions ne sont pas comme pour Platon, le désir et le courage opposés à la raison, mais une perversion de la volonté.
La purification en même temps est l’œuvre de Dieu : l’âme est attirée par Dieu qui purifie : « si Dieu est transcendant et au dessus de toute prise, la pire illusion est de croire que nous puissions nous approcher de lui par des moyens humains, mais c’est de lui seul que nous devons attendre qu’il se communique à nous » ; et cela ne peut pas se faire sans souffrance. Il prend l’exemple comment on travaille l’or. La souffrance purificatrice est naturelle et proportionnée au mal. La peine expiatrice est la condition de la liberté.
La libération du mal nous permet de nous assimiler à Dieu qui devient tout en tous. Dieu se donne et dilate celui qui le reçoit. Car sa volonté est de faire partager ses biens et de dilater sans cesse celui qui les reçoit. D’où ce dernier doit être purifier des passions corporelles, sans que pour autant son désir d’avoir un corps soit sain. Il ajoute la résurrection reconstituera le corps et le fera beaucoup plus beau. Cette purification nous permet de faire une séparation totale des pièges du monde sensible et d’être illuminé.

2. Les degrés du mouvement
Chez Grégoire, le mouvement de la pensée se décompose en trois degrés : « La connaissance religieuse est d'abord lumière quand elle commence à apparaître […] Mais plus l'esprit, dans sa marche en avant, parvient à comprendre ce qu'est la connaissance des réalités et s'approche davantage de la contemplation, plus il voit que la nature divine est invisible. Ayant laissé toutes les apparences…, il va toujours plus à l'intérieur jusqu'à ce qu'il pénètre, par l'effort de l'esprit, jusqu'à l'Invisible et à l'Inconnaissable et que là, il voie Dieu. » Grégoire discerne ainsi les trois degrés suivants :
• L'illumination qui dévoile le péché et provoque la purification intérieure, laquelle doit aboutir à l'apathéia, c'est-à-dire, à l'absence de passions. Ce degré est symbolisé par l'épisode du Buisson Ardent et correspond au baptême.
• L'activité intellectuelle de l'âme qui se dégage peu à peu des obstacles, pour s'élever jusqu'à la beauté invisible. Ce deuxième degré est illustré par la pénétration dans la nuée, et Grégoire le met en lien avec la confirmation.
• La ténèbre, l'expérience mystique, constitue l'ultime degré. L'âme atteint Dieu par une perception « sui generis » qui se traduit par le sentiment de sa Présence et s'achève par l'union. Ce degré est mis en relation avec l'Eucharistie.
Les degrés de cette ascension de l’âme
Premier degré : Les pièges du monde sensible
Pour Grégoire, le premier degré est à la fois séparation et illumination. Le terme de cette voie sera l'apatheia avec la parrhesia pour couronnement. Voyons comment s’effectue la purification de l’âme.
Premier degré : Séparation et illumination
Chez Grégoire, la vie spirituelle suppose d'abord une séparation, illustrée par la figure de Moïse quittant sa mère adoptive pour rejoindre ses frères. "Quand il fut sorti de l'enfance, instruit, durant son éducation de prince, de la culture profane, il ne choisit pas cependant ce qui passait pour glorieux chez les païens et n'accepta pas plus longtemps de reconnaître pour mère celle qui l'avait adopté, mais qui ne l'était pas réellement " La séparation prépare l'illumination intérieure du Verbe, ce qu'illustre l'épisode du Buisson ardent :
" Le premier enseignement que nous donne cette lumière, c'est de nous apprendre ce que nous devons faire pour nous tenir sous les rayons de la lumière véritable ; et c'est qu'il n'est pas possible à des pieds chaussés de courir vers la hauteur où la lumière de la vérité apparaît, mais qu'il faut dépouiller les pieds de l'âme du revêtement des peaux mortes dont notre nature a été revêtue aux origines lorsque nous fûmes mis à nu pour avoir désobéi au commandement divin. Quand nous aurons fait cela la connaissance de la vérité se manifestera d'elle-même. " Cela implique : Une âme apaisée et libre
Dès lors, nous pouvons prévoir ce que sera l'apatheia : un état de l'âme pacifiée, invulnérable aux passions. Ainsi Moïse n'est-il pas atteint par les tentations de jalousie dont est blessé Aaron : " L'assaut de ceux qui l'attaquaient est émoussé à son contact " . L'âme qui lutte contre les passions participe déjà à la vie divine : " Le but de la vie vertueuse, c'est la ressemblance avec Dieu. Et c'est pour cela que les âmes vertueuses s'appliquent à acquérir la pureté de l'âme et le dégagement de toute affection sensuelle, afin d'avoir en elle l'empreinte de la nature divine par le moyen d'une vie meilleur » . La parrhesia (liberté : n’est pas un choix entre un bien et un mal abstrait mais entre la participation à l’humanité déchue ou à l’humanité ressuscité par le Christ. C’est dans le Christ, l’image de Dieu est restaurée pour toute l’humanité. L’humanité est une transformation de l’âme en Jésus-Christ. C’est lui qui éclaire l’âme dans le buisson ardent, celui qui la nourrit dans le désert), qui est le couronnement de l'apatheia, réintroduit l'âme dans une liberté de relation avec Dieu. " Libéré de la mort et relevé de sa chute, il (Adam) se tient devant la face de Dieu, hors de laquelle il avait été transplanté lorsque, d'abord, il eut mangé des choses défendues par le commandement et que par honte il se fut caché à l'ombre du figuier. Ayant recouvré à nouveau la parrhésia, il est restitué à la lumière vivante " (XLIV, 581 A).
Deuxième degré : L'activité de l'intelligence
Le deuxième degré est le domaine propre de l'activité intellectuelle. Il semble qu'Augustin est particulièrement à l'aise dans cette voie où, ayant quitté le monde, l'âme revient vers l'intériorité spirituelle.
Du visible à l'invisible
Chez Grégoire de Nysse, il s'agit d'une montée de l'esprit qui consiste dans un dégagement du sensible et une accoutumance aux réalités invisibles : " Celui qui a abandonné les plaisirs de l'Égypte dont il était esclave avant d'avoir traversé la mer trouve d'abord la vie pénible et désagréable, privé qu'il est des jouissances passées. Mais le bois est jeté dans l'eau, c'est-à-dire si l'on adhère au mystère de la Résurrection qui a eu son principe dans le bois - par bois tu as compris évidemment la croix - alors la vie vertueuse devient plus douce et rafraîchissante que toute douceur dont le plaisir flatte les sens, douceur qu'elle puise dans l'espérance des biens futurs "
Dieu était à l'intérieur
Ce qui est réel, c'est la vérité qui habite au cœur de l'homme. Dans la deuxième homélie sur le Cantique des Cantiques, Grégoire invite à se détourner des tentations et à se laisser guider par le Seigneur. " Chaque fois que quelqu'un fuit l'Egyptien et que, parvenu hors des frontières, il s'effraie des attaques des tentations, son guide lui apprend à attendre d'en-haut le secours inespéré. ". Il ajoute : " Lorsque l'âme devient tout à fait simple, unifiée et tout à fait déiforme, elle trouve le Bien vraiment simple et immatériel. "
Troisième degré : la ténèbre
A ce troisième degré, nous abordons la vie mystique proprement dite. C'est le temps de la Ténèbre où Dieu n'apparaît jamais : il est comme une personne, c'est-à-dire une présence. Toute la vie mystique est là, dans la nuit des sens et des concepts, alors que la présence de Dieu se fait de plus en plus proche. Qu’est-ce que la ténèbre ? Notons ceci : l’âme à la recherche de Dieu, croit d’abord l’atteindre dans les lumières qu’elle en reçoit, jusqu à d’échec en échec, elle finisse par comprendre que voir Dieu consiste à ne pas voir et que c’est dans cette quête elle-même que réside la connaissance de celui qui surpasse tout connaissance. Cette caractéristique se trouve chez Philon dans le traité sur la postérité de Caïn : « Moïse entra dans la ténèbre où, Dieu était c’est-à-dire dans les pensées secrètes et invisibles sur l’Etre […] Lorsque l’âme amie de Dieu cherche ce qui est l’Etre par essence, elle entre dans une quête informe et invisible : et c’est de cette quête que lui provient le plus grand bien qui est de comprendre que Dieu est totalement incompréhensible et de voir cela justement qu’il est invisible » .

Ce que Dieu n'est pas
C’est ainsi que Grégoire écrit : " Le texte nous enseigne que la connaissance (gnose) religieuse est d'abord lumière, quand elle commence à apparaître… Plus l'esprit, dans sa marche en avant, parvient… s'approche davantage de la contemplation, plus il voit que la nature divine est invisible. Ayant laissé toutes les apparences…, il va toujours plus à l'intérieur jusqu'à ce qu'il pénètre, par l'effort de l'esprit, jusqu'à l'invisible et à l'inconnaissable et que là il voie Dieu " (Vie de Moïse II, 162).
Dieu est dans la ténèbre
La nuit de sens n’est qu’une première étape : elle est suivi de la nuit de l’intelligence qui est figuré par la ténèbre ; il observe lui-même qu’il est étranger, que la connaissance de Dieu apparaisse comme ténèbre alors que d’abord la manifestation du Verbe avait paru lumière. Ténèbre est un terme équivoque. La connaissance de Dieu est lumière par rapport aux ténèbres du péché, mais elle est ténèbre par rapport à la réalité divine. Le sens de la ténèbre est l’excès de l’être divin par rapport à toute connaissance créée. C’est la théologie négative chez Grégoire à savoir que Dieu est transcendant ; croire qu’on le possède, ce serait le perdre, car ce qu’on posséderait ne saurait être lui .
Pour Grégoire de Nysse, la ténèbre figure l'obscurité totale de l'esprit devant la réalité divine. « C'est dans la lumière que Dieu commença à se manifester à Moïse. Puis il parla avec lui dans la nuée. Enfin s'étant élevé davantage dans la perfection, il voit Dieu L'âme se mêle à ce qu'elle aime ».
Cette voie est aussi, pour Grégoire, celle de l'union par l'amour. « Les jeunes filles qui ont grandi dans les vertus et ayant atteint la maturité, sont entrées dans la chambre des divins mystères, aiment la beauté de l'Époux et l'attirent à elles par l'amour» (Cant. 784 C). L'union à Dieu se réalise par l'Agape : l'âme se " familiarise «, se " mêle ", à ce qu'elle aime. " Elle adhère et se mêle à ce seul réellement aimable et désirable par l'activité vivante de la charité, se transformant en ce qu'elle appréhende et découvre toujours. " (XLVI, 93). C’est pourquoi nous disons que l’union à Dieu ne se fait pas par l’intelligence mais au-delà de toute intelligence, dans un contact réel de personne à personne.
5. L'épectase : un progrès continuel vers Dieu
L'âme ayant atteint le sommet de son ascension, il pourrait sembler que son désir est comblé puisqu'elle est unie à son Bien-Aimé. Mais pour Grégoire apparaît une réalité nouvelle : la jouissance des biens divins ne fait qu'augmenter la soif de l'âme. La vie spirituelle consiste en un progrès continuel, appelé épectase d'après le texte de saint Paul : « Oubliant ce qui est derrière moi, et tendu vers ce qui est en avant…» (Ph. 3,13).
Tendu vers ce qui est en avant
Dès le début de la Vie de Moïse, Grégoire évoque ce progrès continuel : « Chacun sait que tous les êtres soumis au devenir ne demeurent jamais identiques à eux-mêmes, mais passent continuellement d'un état à un autre, par un changement perpétuel, qui est toujours en bien ou en mal (...). Or, être sujet au changement, c'est naître continuellement » Dans cette perspective il présente Moïse avançant dans la vie spirituelle, comme l'ardent amant de la Beauté. Ses homélies sur le Cantique des Cantiques décrivent lyriquement ce cheminement. Mais voici que maintenant elle (l'âme) a eu part aux biens selon qu'elle le pouvait recevoir ; à nouveau le Verbe l'attire à la participation de la Beauté surnaturelle, comme si elle en était au commencement et n'y avait encore eu aucune part. (...) Ainsi la beauté se manifestant toujours davantage, le divin s'accroît dans la même proportion que le progrès et à cause de la surabondance des biens qu'elle découvre toujours dans l'ordre immatériel, il lui semble qu'elle n'en est qu'au début de son ascension…" (5° homélie sur le Cantique).
Sans relâche poursuivez sa face
Cet ardent désir risque de se relâcher. C'est pourquoi, Grégoire comme Augustin insiste sur la persévérance. A cette étape, ils parlent de l'ascension, de l'échelle, de la course. Pour Grégoire de Nysse " l'aventure " spirituelle est souvent présentée en formules paradoxales : « Trouver Dieu consiste à le chercher sans cesse. En effet, chercher n'est pas une chose et trouver une autre, mais le gain de la recherche c'est la recherche même. »
La vie mystique représente une succession de morts et de résurrections, à travers lesquels l'âme s'approche de Dieu qui habite en son centre. Le progrès vers l'intériorité consiste pour Grégoire, en une découverte toujours nouvelle de Dieu « de commencements en commencements par des commencements qui n'ont pas de fin ».


























IV. LE RETOUR A DIEU : DENYS L'AREOPAGITE
Le pseudo Denys, cet auteur des Ve et VIe siècle, qui se cache sous le nom du disciple aréopagite de saint Paul, connu une destinée extraordinaire : son œuvre fut une des sources principales de la théologie spirituelle. Pendant tout le Moyen Âge, un ensemble de textes théologiques grecs d’inspiration néoplatonicienne fut attribué à Denys l’Aréopagite, membre de l’Aréopage d’Athènes et converti au christianisme par saint Paul, selon le récit des Actes des Apôtres, (XVII, 34). Denys aurait été le premier évêque d’Athènes, avant d’être martyrisé sous le règne de Domitien, empereur de Rome.
On considère actuellement que ces textes sont l’œuvre d’un personnage inconnu, écrivant entre 482 et 530 apr. J.-C., peut-être un moine syriaque, élève de Jamblique et de Proclus (416-485).
La théologie mystique fournit un résumé très dense de toute sa pensée : ce n’est pas l’homme qui découvre, c’est Dieu qui se dévoile. La Théologie mystique fait l’éloge de l’ignorance mystique, ce concept paradoxal de la Divinité en tant que ténèbres absolues, dont on ne peut rien dire, parce qu’elle est négation de tout ce qui est, de tout ce que l’homme peut percevoir par les sens. Denys l’Aréopagite serait le fondateur de la théologie dite négative (vía negativa) ou apophatique.

La théologie mystique à travers le retour en Dieu est une façon pour l’homme d’atteindre le divin. Denys commence son traité avec l’expérience directe avec Dieu. Pour Denys, il recommande à Timothée une série (un certain nombre d’attitude et d’exercices pour établir son union à Dieu.

Il commence son traité sur la théologie mystique en présentant la ténèbre divine comme première réalité d’où découleront toutes les mesures qui seront prise par rapport à l’union mystique avec Dieu. Denys, croyant qui s’efforce de donner une tournure rationnelle à sa foi, apparaît comme une pierre milliaire placée par Dieu pour indiquer la route à suivre pour entrer de nouveau dans les chemins de la lumière de la vie et de la science .

Il met en oeuvre la philosophie néoplatonicienne pour construire une théologie mystique vraiment catholique aussi sa doctrine ramène tout à Dieu, soit en lui-même soit comme principe ou comme fin des choses.

1. La Ténèbre Divine

Le Pseudo Denys bâtit toute sa théologie mystique autour du concept de Ténèbre divine. C’est à travers cette supplication de Denys que nous pouvons entrevoir la définition du concept de Ténèbre divine :

Trinité suressentielle et plus que divine et plus que bonne, toi qui présides à la divine sagesse chrétienne, conduis-nous non seulement par delà toute lumière, mais au-delà même de l’inconnaissance jusqu’à la plus haute cime des Ecritures mystiques, là où les mystères simples, absolus et incorruptibles de la théologie se révèlent dans la ténèbre plus que lumineuse du silence [997 B]

La ténèbre divine est l’au-delà de toute lumière, de toute intelligence. Elle demeure elle-même, parfaitement intangible et parfaitement invisible. Le retour en Dieu se fait ici au moyen des contemplations mystiques, car Dieu est au-delà de toute réflexion intellectuelle, il n’a aucune caractéristique de la matière. Il est au-delà du sensible. C’est pourquoi la rencontre avec Dieu nécessite un dépouillement : il faut se lever, se débarrasser des passions, laisser toutes les spéculations de la philosophie païenne de l’être et du non être pour être emporter dans les cimes de l’inconnaissance pour retrouver celui qui a pris la ténèbre comme retraite. Il faut sortir de soi-même et de tout alors tu es emporté vers la suressentielle ténèbre.

• Le silence
Nous pouvons citer en plus du silence, les contemplations mystiques, l’extase, en tant que voies par lesquels le pseudo Denys évoque la quantité de nos paroles comme diminuée au fur et à mesure que nous nous approchons de Dieu. C’est dans le silence qu’on apprend les secrets de cette ténèbre. L’union à Dieu est jaugée par le silence totale car à mesure même que nous nous approcherons du sommet, le volume de nos paroles se rétrécira ; au terme dernier de la sanction nous serons totalement muets et pleinement unis à l’Ineffable.

• La sélection par degré des réalités existantes
Une autre attitude qu’il préconise pour retrouver en Dieu selon les choses du monde est la sélection par degré des réalités existantes. Lorsqu’il s’agit des réalités affirmatives. Dieu en lui-même possède toutes les perfections des créatures : il est bonté, beauté, force, unité mais pas à la façon des créature en raison de sa transcendance, il est ineffable et obscur. Il faudrait partir des plus hautes car elles sont fondées sur ce qui est le plus proche de lui. A contrario, pour parler négativement de celui qui transcende toute négation, il faut commencer nécessairement par nier de lui ce qui est le plus éloigné de lui. [1033B-1048A]
Dieu est principe des choses car sa bonté se répand. Les créatures sont des effusions de cette bonté à laquelle elles participent selon l’ordre de la providence. Entre Dieu et le monde, il y a une distinction réelle.
Dieu est la fin des choses et il attire tout à lui ; le bien descendu de Dieu remonte à son point de départ. La déification s’étend à toutes créatures. Pour l’homme en somme le retour à Dieu se fait par la grâce, l’amour, l’extase ; tout en gardant en mémoire que ce n’est pas une œuvre humaine c’est-à-dire ce n’est pas l’homme qui découvre, c’est Dieu qui prend l’initiative et décide de se dévoiler.


2. Dieu cause transcendante de toute réalité sensible
est au-delà des sens. [1040 D]

L’expérience mystique est radicalement ineffable, c’est pourquoi Denys s’applique plutôt à préciser les démarches négatives qui la rendent possible. Il le fait en présentant ce que Dieu n’est pas pour écarter toute sorte de confusion permettant ainsi au-delà de toute la libre ascension vers ce Dieu qui est toute bonté.

La Cause universelle, située au-delà de l’univers entier, n’est ni matière exempte d’essence, de vie, de raison ou d’intelligence, ni de corps. Elle n’a ni figure ni forme, ni qualité ni quantité ni masse. Elle n’est dans aucun lieu, elle échappe à toute saisie des sens. Elle ne perçoit ni n’est perçue : elle n’est sujette ni au trouble ni au désordre sous le choc des passions matérielles. Les accidents sensibles ne l’asservissent ni ne la réduisent à l’impuissance ; elle n’est point privée de lumière ; elle n’est elle-même ni ne possède ni mutation, ni destruction, ni partage, ni privation, ni écoulement, ni rien en un mot de ce qui appartient au sensible.
Ce renoncement divinisateur est suggéré par toute une terminologie négative pour l’ordre des sens : ténèbre, nuage, silence, absence de vision, de paroles, d’activité…Il est important de souligner que le dépouillement de tout ne garantit pas la vision de Dieu. D’une façon simpliste on pourrait croire que Denys défait son discours quand il déclare qu’on n’entre pas en relation avec Dieu par la contemplation de Dieu pour la simple et unique raison qu’il n’est pas visible. Seule la contemplation mystique, c'est-à-dire, dans la nuit de nos sens que nous réalisons l’union à Dieu.


3. Dieu cause transcendante de tout intelligible n’est rien d’intelligible [1045 D]

Dieu n’est ni âme, ni intelligence, il ne possède ni imagination, ni opinion, ni raison, il ne se peut exprimer ni concevoir, il échappe à tout raisonnement, à toute appellation, à tout savoir ; il n’est ni ténèbre, ni lumière, ni erreur, ni vérité…Nous avons en clair le caractère inconnaissable de Dieu.

Nos discours sont teintés de notre imperfection et ne peuvent en aucun cas épuiser la réalité Dieu. L’union dans l’inconnaissance à celui qui dépasse toute essence et toute connaissance exige la sortie de tout et de soi-même dans l’absolue et libre dépossession de tout afin de réaliser l’union divinisatrice de l’extase.

En un mot, la pénétration dans la ténèbre plus lumineuse que la lumière est garantie par le renoncement à toute vision et à toute connaissance. C’est la prise de conscience qu’on ne peut voir ni connaître. Celui qui est au-delà de toute vision et de toute connaissance. Il faut abandonner tout ce qui existe et célébrer le suressentiel selon un mode suressentiel.





V. CONVERGENCES ET DIVERGENCES

A) CONVERGENCES
*Plotin- Proclus
Tous deux s’accordent sur le fait que l’âme émane de l’Un, Dieu et descend dans le corps pour l’animer et l’organiser. Cette individuelle descend de l’Intellect divin qui vient aussi de l’Un. Cette individuelle, partie de l’âme du monde, s’attache au corps non à la suite d’une chute mais d’une préparation de l’Ame du monde. Elle reste capable de tendre et de s’élever vers son origine pour la contempler.

• Plotin- Grégoire de Nysse
La vraie nature de l’âme c’est d’être image de l’Un ou Dieu. C’est cette image qu’il s’agit de dégager en la purifiant de tout revêtement étranger qui, comme la rouille efface l’effigie, la trace de l’Un. S’il suffit à l’âme de se purifier des éléments étrangers, cela veut dire que l’âme a une essence divine, puisque la nature divinité reste immanente à l’âme.

B) DIVERGENCES

• Plotin – Proclus
Chez Plotin l’effort qu’effectue l’âme pour retourner à l’Un est uniquement morale et intellectuel. Plotin exclue toute manifestations corporelles et tout rite religieux. Il disait, « je tente de placer mon âme dans l’âme universelle. »
Proclus lui, suscite les pratiques culturelles, s’appuie même sur les prodiges. Pour Proclus, puisque la pensée ne peut approcher que négativement l’Ineffable, on doit compléter les exercices intellectuels par les mythes « initiatique et les actions symboliques qui, faisant jouer l’âme et le corps tout entier éveillent la pensée divine et nous dispose à son investissement.






CONCLUSION

Au regard de ce qui précède, il a été question dans cette théologie mystique, de l’âme qui, étant éloignée de son principe originel, pense toujours à sa nature divine. Nous sommes partis d’une certitude que tout vient de L’Un appelé aussi Dieu par sa pure bonté. La descente de l’âme dans les corps sensible étant pour l’organisation et le perfectionnement, l’incarnation ne peut pas être une chute. Tout relève de la perfectibilité de l’Un et selon le principe selon lequel « tout être parfait produit » L’âme loin de Dieu ou de l’Un son principe originel et contemplant la beauté et la grandeur des chose sensibles se perd, mais par le retour à elle-même et grâce à l’activité philosophique découvre qu’il y a une beauté bien plus supérieure à celle des corps sensibles et dont la grandeur et l’éclat sont sans limite. L’âme qui a pris dont attache au sensible tâche de se purifier. L’âme cherche à découvrir et à atteindre une réalité intelligible supérieure à la réalité sensible. C’est le retour à Dieu, le voyage ascensionnel vers Dieu comme source de tout, où tous les vœux de l’âme sont comblés et où elle trouve le vrai bonheur en union parfaite avec Dieu.

















BIBLIOGRAPHIE
ANNA KELESSIDOU G., Le voyage érotique de l’âme dans la mystique plotinienne, Sherbrooke, Québec, 1946.
BOUSQUET F., Esprit de Plotin. L’Itinéraire de l’âme vers Dieu, Québec, Naaman, 1976.
GREGOIRE de Nysse, Contemplation sur la vie de Moïse, Paris, Cerf, 1941.
Sur l’âme et la résurrection, Paris, Cerf, 1995.
Vie de Moïse, Paris, Gallimard, 1937.
HUISMAN D., Dictionnaire des philosophes K-Z, Paris, PUF, 1993.
Plotin, Ennéades de I-VI, Traduction de Émile Bréhier, Paris,
PlATON, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1948.
PSEUDO-DENYS, Œuvres complètes, Paris, Cerf, 1961.
THONNARD F.J., Précis d’histoire de la philosophie, Tournai, Descellée, 1963.























TABLE DES MATIERES
Introduction :
Le retour en Dieu : Une théologie mystique…………….…….…..1

I. PLOTIN ET L’ASCENSION DE L’AME A L’UN
ET LA FONCTION DE LA PHILOSOPHIE……..……………………..………..2

1. La nature de l’âme………………………………………………………...….……2
2. Le retour de l’âme à elle-même……………………………………………....……4
3. L’âme devenue intellect divin………………………………………….……….…6
4. L’Union totale de l’âme à l’Un……………………………………………….…...7

II. LE REOUR EN DIEU COMME ACCOMPLISSEMENT DE L’AME CHEZ PROCLUS………………………………………………………………......8

1. Le système de Proclus………………….……………………………………….…8
a. L’Un…………………………..….…………………………………….…..8
b. L’Intellect divin……………………….………………………..……….....9
c. L’Ame……………………..……….………..………….…………..……...9
2. Le retour………………………..…………………………………………………10

III. L’ASCENSION DE L’ÂME CHEZ GRÉGOIRE
DE NYSSE………………………………………………………………………….11

1. vie de l’auteur…………………………………………………………..………..11
2. La conception de l’âme chez Grégoire de Nysse………………………..…..…..13
3. L’ascension de l’âme……………………….…………………………………….13
4. Les différentes étapes de l’ascension…………………………………………….14
5. Les degrés du mouvement………………………………………………..………15
5.1 : Illumination ……………….……………………………….…………..15
5.2 : Activité de l’intelligence……………………………………………….16
5.3 : Ténèbre………………………………………………………………...17
6. L’épectase : un progrès continuel vers Dieu………………………….………….19

IV. LE RETOUR A DIEU : DENYS L'ARÉOPAGITE………………………...21
1. La ténèbre divine …………………………………….……………………….…22
2. Dieu cause transcendante de toute réalité sensible
est au-delà des sens. [1040 D]…………………………………………………23

3. Dieu cause transcendante de tout intelligible n’est rien d’intelligible [1045 D]…………………………………………………………………………………....24

V. CONVERGENCES ET DIVERGENCES……………………………….……25
Conclusion ………………………

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