mercredi 19 mai 2010

Pierre Erny et l'éducation

TABLE DES MATIERES


TABLE DES MATIERES 1

INTRODUCTION 2

I. PREMIERS CONTACTS DE L’ENFANT AVEC LE MONDE 3
I.1. Attachement maternel 3
I.2. Le sevrage 4
I.3. Héritage de la petite enfance 4

II. INTEGRATION SYSTEMATIQUE DE L’ENFANT DANS LA LIGNEE 6
II.1. Liens de parenté 6
II.2. Les différentes figures parentales 7
II.3. Responsabilité éducative propre à la famille proche 8
II.4. Responsabilité éducative propre à la famille éloignée 9

III. EVALUATION CRITIQUE ET ACTUALISATION 9
III-1 Une sérieuse observation de la dépendance de l’enfant au sein de la famille 10
III-2 Pour une limitation de la liberté sociale 12

CONCLUSION 12

BIBLIOGRAPHIE 13
INTRODUCTION

Dans le cadre de notre réflexion sur la pédagogie africaine à travers les lunettes de Pierre Erny, nous voulons vous exposer ses grandes idées portant sur l’éducation en rapport avec la pédagogie traditionnelle africaine. Notre travail se limite à vous présenter les idées des chapitres trois et quatre allant de la page 47 à 81 de son livre . Des chapitres que nous résumons sous le titre : les débuts de l’enfant dans le monde familial. En effet, concevant que l’enfant qui naît dans une famille est d’abord très attaché à sa mère qui progressivement doit favoriser son contact avec le monde, Pierre Erny traite d’abord de la tendre relation mère-enfant et ensuite de son intégration dans la lignée parentale. Allant dans le même sens, notre travail va présenter en premier lieu le contact de l’enfant avec le monde maternel, puis en second lieu son intégration systématique dans la lignée, et enfin, l’évaluation critique.

I. PREMIERS CONTACTS DE L’ENFANT AVEC LE MONDE

Le monde de l’enfant se réduit à l’univers familial, surtout celui de la personne de sa mère ou de toute personne qui joue le rôle maternel. L’enfant, dans sa totale dépendance, est lié à la mère qui progressivement élargie son contact en le familiarisant à d’autre membres de la famille par le sevrage. Aussi devons nous en ce premier point considérer l’attachement maternel d’une part et son sevrage d’autre part, avant d’analyser l’héritage de la tendre enfance.
I.1. Attachement maternel
La première relation qui s’établit entre l’enfant et le monde des vivants passe inévitablement par le biais de la présence maternelle. Erny écrit à ce sujet : « la première découverte de l’Autre se réalise au travers de la figure maternelle et de ses substituts » . L’enfant fait l’expérience de l’inconnu dans la personne de la mère. Qui est donc celle-ci pour l’enfant ? Vu les rapports de proximité, les soins, le degré d’affectivité, l’attention et l’amour qui lient la mère à l’enfant, elle est considérée non seulement « comme celle qui nourrit, mais aussi comme celle qui apaise toute tension survenant chez le nourrisson par le sein qu’elle lui donne » .
Dans la première enfance, la mère est tellement présente dans la vie de l’enfant qu’elle devient figure rassurante et consolante, source de bonheur et d’épanouissement, objet de plaisir même de l’enfant en rapport de laquelle il est cependant dépendant. Dans cette ambiance, l’enfant « n’a normalement pas le temps d’expérimenter ce que c’est la solitude ou l’abandon » . Ses exigences l’emportent et sont au centre de toute préoccupation de la mère. L’enfant expérimente alors un univers bon et accueillant, riche et producteur d’affectivité, un univers qui vient en avant de tous ses besoins, qui se montre attentionné par la présence vulnérable de la nouvelle vie. Toutefois, en Afrique traditionnelle, cette expérience est vaste puisque la figure maternelle peut être remplacée par divers substituts qui, cependant, jouent le même rôle et encadrent l’enfant dans le même environnement sécurisant. Ce qui amène l’auteur à écrire que l’enfant « passe de mains en mains, voire de dos à dos, et voit autour de lui de nombreuses figures familières » . L’héritage que l’enfant garde de ce stade est donc celui de la vision positive des choses : un monde meilleur qu’il découvre dans l’image de sa mère. Il s’attache à elle de tant puisqu’il trouve en elle une source inépuisable de la vie.

I.2. Le sevrage
Le sevrage est l’action d’arrêter une substance ou un comportement ayant entrainé une dépendance. Dans notre contexte, il consiste à un arrêt du lait maternel accordé à l’enfant suivi d’une accoutumance plus ou moins progressive aux aliments des adultes. Cet arrêt conduit à une modification comportementale inadaptée avec précisément des répercussions physiologiques et psychologiques que l’on nomme syndrome de sevrage. On prive l’enfant du lait maternel qu’il considérait jusque-là comme source de consolation, d’amour et de vie. L’intensité du sevrage dépend généralement de la durée et du degré d’addiction. Il intervient généralement en Afrique traditionnelle vers la fin de la deuxième année. Par le sevrage, l’enfant est amené à un détachement, forcé mais nécessaire, et entre dans le monde des adultes. Il voit dans cette foudroyante absence de la mère un abandon vis-à-vis de son égoïsme qui jadis était le centre de ses intérêts. L’auteur montre qu’à ce stade, la mère devient promptement active et absente, met l’enfant à distance, lui refuse ce sein autrefois considéré comme symbole d’apaisement de faim et source de toute sécurité . En outre, il faut remarquer qu’après le sevrage une sorte de restructuration de vision de l’univers relationnel s’opère autant chez l’enfant que chez la mère. L’enfant entre dans le monde des adultes où, le cas échéant, il participe petitement et progressivement à sa survie et à son auto-affirmation, car désormais, il fait partie du grand groupe. La mère change également son pôle affectif ; elle se reconstitue organiquement et psychologiquement, s’apprêtant éventuellement à une nouvelle conception. De fait, nombre de sevrages ont lieu au moment où la mère tombe de nouveau enceinte.

I.3. Héritage de la petite enfance
Le contexte dans lequel l’enfant est introduit dans le monde, les rites initiatiques qu’il subit et le sevrage qui le plonge dans l’univers des adultes ne le laissent pas sans changement, sans une acquisition, minime qu’elle soit. De quelle personnalité sera-t-il marqué au vue de cette situation paradoxale et souvent précoce qu’il vit ? Quelle image de l’autre le petit enfant garde de cet ensemble d’expériences ? La période d’allaitement a fortement attaché l’enfant à la mère dont l’absence crée un profond vide dans son être intérieur. L’image que l’enfant a de la mère est la même qu’il a du reste du monde ; elle colore, oriente et détermine sa vision des choses. Si la mère « est bonne, tout paraîtra bon ; s’il la trouve mauvaise, tout devient hostile et menaçant » . Ce genre de relation crée chez l’enfant une sorte de dépendance due à la proximité rassurante de la mère à laquelle il est uni à la manière d’un parasite vis-à-vis de son hôte. De fait, la mère est « le grand contenant qui continue à ne faire qu’un avec le petit. Psychologiquement, le cordon ombilical tarde à être coupé » . Dans ce climat, l’enfant n’expérimente ni frustration ni éloignement. Dès lors, ces rapports créent en lui une double tension. Premièrement, l’autre est « essentiellement gratifiant, bon pour s’y blottir et bon à manger, un paradis où coule en permanence une plénitude immobile et sans tension » . Deuxièmement, l’enfant ne sait pas distinguer la maman du reste du monde, tout est confus et sa sensibilité n’est pas préparée aux frustrations et changements inévitables qui surviendront après la mise en évidence de cette présence adoucissante de la mère. Il vit dans une ambivalence.
Mêmement, le sevrage met l’enfant dans une double ambigüité. D’abord il plonge l’enfant dans un monde « mauvais ». La mère change en effet d’attitude et la psychologie de l’enfant est bouleversée. « Ce qui était bon devient subitement frustrant, générateur d’angoisse, lointain, étranger et froid » . L’enfant expérimente un vide et une solitude qui l’amènent souvent à des attitudes narcissiques. Cette relation dégénère alors en catastrophe et en traumatisme puisque l’enfant n’a pas été préparé progressivement à vivre les changements, à découvrir stratégiquement qu’il y a en tout mélange du bien et du mal. Il a au contraire fait l’expérience du bien. Le sevrage peut donc laisser sa personnalité profondément insatisfaite puisqu’il n’a pas été préparé à pouvoir changer la frustration et l’abandon en instruments de progrès, d’adaptation et de développement . Par ailleurs, le sevrage est un passage à la maturation : il constitue « un moment décisif, une solution de continuité » . L’enfant doit nécessairement passer par-là pour intégrer la société d’adultes. Tout dépend donc de comment il a vécu ses premières relations avec la mère.
II. INTEGRATION SYSTEMATIQUE DE L’ENFANT DANS LA LIGNEE

Après le sevrage, l’enfant est comme obligé d’oublier sa tendre maman qui représentait tout son monde pour s’ouvrir à d’autres personnes dans le voisinage proche de la maman. Se faisant, l’enfant entre ainsi dans le processus d’intégration systématique dans la lignée. Il est en fait question de favoriser le développement de l’enfant en donnant la possibilité à d’autres membres de la famille de jouer en rôle constructif dans l’apprentissage du tout nouveau membre de la grande famille. Nous allons observer de près quelques étapes de cette intégration en considérant quatre moments : les liens de parenté, les figures parentale, la responsabilité de la famille proche et celle de la famille éloignée.

II.1. Liens de parenté
Dans l’Afrique accoutumée, le système de parenté accorde la plus grande importance aux relations sociales. Le type de communication qu’il représente et les interactions qu’il instaure entre les groupes familiaux maintiennent ces derniers en une place forte. Ils constituent en réalité, la cellule de base de la société, la personne morale fondamentale et le milieu éducatif le plus immédiat. L’élément unificateur de tout groupe familial est le lien de sang reconnu et préservé par tous car, comme le dit l’auteur « quiconque en est coupé retombe dans le néant » . Eu égard, l’éducation de l’enfant sera avant tout actionnée sur son statut de membre d’un groupe familial à travers lequel les motifs d’action sociale devront toujours passer avant les motifs d’actions personnels. Ceci peut également s’observer dans les principes sociaux stéréotypés de la famille généalogique africaine.
En elle, l’union se conclue toujours en vue de la procréation et vise à apporter à la collectivité familiale cette « richesse humaine » que sont les enfants, idéal de continuité du lignage constituant ainsi un frein à l’épanouissement et à l’approfondissement de la vie amoureuse du couple. En conséquence, le lien vertical femme-enfant va prédominer sur le lien horizontal femme-mari et la mère l’emportera beaucoup plus sur l’épouse. Toute son attention sera réservée donc sans partage à l’enfant qui deviendra le meilleur gage et le personnage central de la lignée ; motivations qui pousseront les ascendants à adopter une attitude particulière à son égard que ce soit d’ordre psychologique ou social.
De ce qui précède, nous retiendrons que le lignage exprime ses liens forts à travers « l’intégré-en-devenir » par l’empreinte de son autorité absolue et de sa présence inéluctable via le respect de ses intérêts. Après avoir pris le cas du mariage, s’annexera le domaine de la commensalité. En effet dans la grande famille africaine, la notion de subsistance nécessite une unité de production pour son économie et l’autorité en son sein s’associe à la possession, au contrôle et au partage de la nourriture. R. MAKARIUS fait remarquer que « la commensalité est une expression sociale pratique » ; car les frères et sœurs doivent manger entre eux ; il serait dangereux pour l’homme de manger avec les femmes qui sont, seront ou pourraient être ses partenaires sexuelles. D’où l’intérêt de savoir qui peut manger avec qui ? En tenant donc compte des statuts respectifs, l’enfant percevra directement son groupe d’appartenance à l’acquisition et au maniement de la nourriture. La lignée devient donc cet ensemble fondé sur la consanguinité à partir duquel le groupe familial vit la communion, la commensalité, la solidarité, etc.

II.2. Les différentes figures parentales
Les rapports parents-enfants demeurent le pivot de l’éducation. Les relations que pourraient entretenir l’enfant avec son entourage immédiat doivent toujours être envisagées en termes de famille élargie car les parents peuvent certes prendre aux yeux du petit, un relief tout particulier mais leur présence seule ne suffira pas et la tâche qu’ils remplissent habituellement peut toujours être assumée par d’autres figures parentales.
Généralement, l’enfant se définit comme fils d’un tel ou fille d’une telle et s’identifie entièrement à sa famille en fonction de ses agir. Le garçon par exemple ressemble à son père d’une manière frappante, il adopte ainsi ses manières, ses aspirations, ses postures, sa tournure d’esprit et ce type de traits caractéristiques se perpétue comme çà à l’intérieur d’une famille de génération en génération. Si l’enfant à de nombreuses « mères » et « pères », cela ne conclue en aucun cas que l’intensité affective qu’il entretient avec ses parents est comparable avec celui de ses tantes et des ses oncles. L’autorité de son père génétique l’emporte sur celle de ses oncles paternels mais il peut arriver que le lignage prévale sur l’autorité parentale. Chaque figure parentale a une responsabilité bien précise dans ce processus d’intégration et peut s’interchanger de rôles parce l’enfant est l’enfant du groupe. L’enfant passe par différentes figures de la lignée puisqu’il est destiné à toute la famille. Dans l’exercice de sa liberté, les Thonga du nord de la Rhodésie par exemple laissent à l’enfant le choix de son lieu de résidence et de l’homme qui doit veiller sur lui. Généralement, en Afrique traditionnelle, l’enfant passe entre plusieurs mains. Ces pratiques ont pour finalité de le mettre en contact de la parenté large et de lui apprendre à voir au-delà de la famille restreinte. Toutefois, dans cette éducation des ainés aux plus petits, les rôles, les responsabilités, l’autorité, les modèles éducatifs et même son contenu ne sont pas distinctivement clarifiés puisqu’assumés collectivement. D’où, une petite analyse de ce que doit être la participation, mieux l’apport de chaque membre intervenant dans ce processus pédagogique d’intégration.

II.3. Responsabilité éducative propre à la famille proche
Sous l’appellation de famille proche, nous entendons toute personne impliquée immédiatement dans l’éducation de l’enfant. Il s’agit évidemment de la mère et du père constituants du noyau cellulaire de tout développement humain. Pour ce qui est de la mère, elle est perçue comme premier modèle de toute personnalité familiale pour l’enfant. L’intensité de cette influence croit selon qu’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. L’influence éducationnelle de la mère, mieux son autorité morale reste toujours considérable et incontournable dans la formation et le développement de l’enfant. La mère passe pour être premier « pédagogue » et premier réservoir en qui l’enfant puise sa force vitale. Elle imprime la première les sentiments moraux, les repères de jugements, les critères d’évaluation de valeurs, le sens des interdits et de la pudeur dans l’esprit de l’enfant. Toutefois, en fonction d’ethnies, les rapports enfant-parent prennent une nuance très différente. Chez les peuples Gusii par exemple, la réserve est extrême entre père et fille ; elle s’atténue plutôt entre père et fils. L’intimité apparaît progressivement entre mère et fils pour atteindre son summum dans la relation mère-fille. La responsabilité éducative de la mère s’accentue de temps plus qu’elle est aux yeux de l’enfant source de joie et de bonheur. Elle apparaît dès lors comme premier prototype de toute vie. L’auteur dit à ce sujet :
On aime le père parce que c’est de lui qu’on reçoit du bétail et un statut social, mais l’enfant n’a pas la certitude que son père légal est aussi son géniteur. Pour la mère il n’y pas de doute possible : elle a porté l’enfant, elle enduré les douleurs, elle lui a donné à boire .

L’exemple d’illustration est le cas des peuples Gikouyou où l’enfant est plus attaché à la mère qu’à son père car c’est elle qui le nourrit et veille sur son habillement. La mère a donc un grand rôle pédagogique dans la longue marche de maturation du petit de l’homme.
Le rôle paternel n’est pas clair au début. Ses fonctions proprement éducatives n’apparaissent pas promptement puisque l’enfant est d’abord inséré dans le groupe des semblables avant de tisser des liens solides avec la figure paternelle. Le rôle éducatif du père varie selon qu’il s’agit de société matri ou patrilinéaire. Dans les sociétés matrilinéaires, le jeune a conscience d’être étranger dans le clan de son père légitime et c’est l’oncle maternel qui prend en mains l’éducation de ses neveux. Toutefois, la figure paternelle est symboliquement présente puisque la mère s’adresse aux enfants « au nom du père ». C’est donc sa fonction de père, et non sa présence, qui a une incidence directe et déterminante sur l’éducation de l’enfant. Par ailleurs, qu’il s’agisse d’organisation matri ou patrilinéaire, c’est au père légal que revient l’aspect essentiel de l’éducation à savoir la « sauvegarde et la protection de l’être même des petits contre toute action malveillante » . Le père est dit chef du peuple. Il représente en effet l’autorité, le prestige, l’admiration et la considération de toute la lignée. En outre, la responsabilité du père se fait par sa participation obligatoire à l’égard du jeune homme. C’est de fait le père qui, seul, procède aux apprentissages propres au jeune homme.
II.4. Responsabilité éducative propre à la famille éloignée
Par famille éloignée, l’on entend toute personne qui est sans contact direct sur l’enfant et sur son processus d’intégration. Il s’agit des grands-parents et, dans le cas échéant, des oncles paternels. Ils apparaissent comme agents de l’éducation qui n’ont directement pas trait à l’activité productrice ou à l’enseignement oral. Mais leur rôle demeure primordial sur le plan de l’intégration proprement dite. Ils sont en fait la liaison entre le passé et le présent. Les jeunes partent par exemple habiter chez les grands-parents après leur sevrage. La grand-mère incarne la figure de refuge et de guérisseuse de maladies ; en elle, l’enfant expérimente « ce qu’est l’affection, la tendresse, l’indulgence, l’amour, la confiance, la sécurité, la liberté » bases sans lesquelles la personnalité de l’enfant volera en éclat. Dans le système social, enfants et grands-parents occupent donc une position systématique : les premiers viennent d’un autre monde, les seconds s’apprêtent pour y aller. Par leur courtoisie, l’enfant acquiert certains traits relevant du domaine sentimental et affectif.

III. EVALUATION CRITIQUE ET ACTUALISATION

III-1 Une sérieuse observation de la dépendance de l’enfant au sein de la famille
Comment évaluer ces deux chapitres de Pierre Erny sur la pédagogie traditionnelle en rapport avec l’éducation ? Celle-ci consiste en effet en un double processus à savoir la personnalisation de l’enfant et son intégration dans sa société de vie . Par ses propos, Pierre Erny met en exergue et valorise cette essence de l’éducation dans les sociétés traditionnelles africaines. Pour ce faire, sa démarche nous semble capitale ; elle se veut une analyse de l’interaction enfant-parent. Tout projet éducationnel qui se veut fondateur et créateur de la personnalité humainement mature ne saurait oublier cette analyse puisque c’est dans la petite enfance que se sont posées les premières assises de la personnalité, principalement à travers la présence et l’autorité morale de la figure maternelle. C’est ce que souligne l’auteur : « l’autorité morale des mères reste toujours considérable même si le régime ne leur reconnaît aucune autorité légale » . Ainsi, anthropologie et biologie, morale et métaphysique contribuent à la connaissance de l’enfant et donc à l’élaboration d’une pédagogie qui se veut capable de conduire le petit de l’homme à la personnalité désirée. De fait, l’auteur souligne la nécessité qu’il y a pour toute pédagogie à tenir compte de l’héritage de la petite enfance. Il dit à ce sujet :
Une fois que l’individu a fait l’apprentissage d’un type de relation au début de sa vie, une fois qu’un schéma de comportement est monté et intégré par son organisme et un style de vie adopté, il s’attend à ce que toutes les relations qu’il établira ultérieurement avec les hommes et avec le monde extérieur suivent le même modèle .
L’auteur souligne également un fait, qui est d’ailleurs l’une des finalités de l’éducation : loin d’être un penchant sur l’individualité, la pédagogie traditionnelle africaine met beaucoup plus l’accent sur la collectivité, l’intérêt porté sur la vision commune et l’avenir de toute la lignée que sur les réalisations personnelles. L’éducation valorise la cohésion du groupe. L’important ici c’est le rôle social que chaque individu doit jouer. L’éducation tend à apprendre à l’enfant à se situer par rapport au groupe, à en respecter les règles et les valeurs, en un mot à se conformer au rôle qui lui sera assigné dans le grand groupe comportant les vivants, les morts et les futurs. Ce n’est pas l’épanouissement personnel qui est valorisé mais la sécurité et la perpétuation du groupe. L’enfant n’est pas encouragé à développer son égo, mais l’identité du groupe, l’esprit communautaire, le sens des responsabilités envers les autres. Toutefois, la compétition n’est pas découragée, mais doit s’exercer dans l’intérêt collectif. Ainsi, l’auteur souligne-t-il le caractère fondamentalement relationnel de la personne humaine. Je suis parce que nous sommes et je deviens parce que nous devenons. Il s’agit donc pour l’éducation traditionnelle africaine d’« un accouchement collectif qui prolonge l’enfantement biologique » . L’enfant est l’enfant de toute la lignée. D’où, l’auteur met-il à jour la grande finalité de l’éducation traditionnelle africaine : la valorisation de la cohésion, de la solidarité et de la primauté du groupe. La société traditionnelle africaine est tout d’abord une école de vie et un processus de préparation à un futur meilleur.
En effet, pour l’auteur cette intégration de l’enfant tient compte de son milieu et se fait généralement par la parole qu’accompagnent l’observation et l’imitation, l’art et le jeu, la musique et la danse et d’autres métiers qui portent l’enfant à la production. Gianna Pallante fait remarquer que « le commencement de toutes les civilisations est marqué par une éducation traditionnelle orale » . En outre, les propos de notre auteur soulignent la grande richesse dont revêt la pédagogie traditionnelle africaine. Toute société est éducative parce que l’enfant est l’enfant du groupe tout entier et non pas seulement de ses géniteurs. L’éducation traditionnelle a un caractère collectif prononcé, une globalité au niveau des agents. En effet, la parenté, les pairs, le village et la lignée participent à l’éducation. Néanmoins, la place particulière revient aux parents, aux aînés et aux personnes qualifiées quant à ce qui concerne l’initiation. Nous pouvons donc dire que cette pédagogie conduit l’enfant à une formation à tous les points de vue, physique et morale, intellectuelle et esthétique, culturelle et relationnelle. Aux yeux de l’auteur, elle est totale car elle est en même temps éducation et instruction ; elle est également vitale car elle s’adresse à l’intégrité de la personne.
L’analyse de l’intégration de l’enfant dans son milieu traditionnel fait également ressortir une dimension importante de la personne quant à ce qui concerne tout le processus de son apprentissage : c’est la liberté. Dans son intégration dans le grand groupe, l’enfant jouit d’une liberté qui le pousse à se sentir aimé et à (apprendre à) aimer. La liberté est au centre de l’intégration de l’enfant. Ceci crée en lui un climat de confiance non seulement en ses capacités mais aussi en toute personne qui est à sa portée. Cette liberté est la base nécessaire pour une éducation réussie. On ne saurait de même oublier la place prépondérante de la mère dans tout le processus de l’intégration. C’est par elle que l’enfant entre dans le nouveau monde, c’est par elle qu’il apprend les sentiments et les croyances les plus profonds et les plus propres de la grande famille. Couché sur son dos, il sent les mouvements les plus intérieurs de sa maman. Ainsi, si la mère est porteuse d’humanité, l’enfant est un humaniste en devenir ; si la mère est donneuse de vie, l’enfant apprend à respecter et à donner la vie.

III-2 Pour une limitation de la liberté sociale
Nous ne saurions terminer nos propos sans faire remarquer une limite que nous relevons de cette pédagogie africaine traditionnelle telle que nous l’a présente Pierre Erny. Peut-on parler de la liberté individuelle dans l’éducation traditionnelle où la liberté sociale est de mise ? L’éducation africaine traditionnelle vise de prime abord la formation et la consolidation du moi social, mettant de côté le moi individuel. Bien que la liberté personnelle soit au centre de l’éducation pendant la première enfance, elle semble voler en éclat dans tout le processus d’intégration de l’enfant. On apprend à l’enfant à sacrifier sa liberté au profit du groupe. Son individualité n’est pas « respectée » ; sa liberté personnelle contrainte à promouvoir et à rechercher le bien social au détriment du bien personnel. Dans cette perspective, cette éducation, loin de former l’esprit critique de l’enfant, semble former l’esprit schizophrénique où l’enfant est divisé entre ce qu’il souhaiterait être et l’« autorité-dictature » qu’il a subie dès son bas âge. Au lieu d’être un lieu où tout le monde y compris l’enfant s’exprime, la société traditionnelle africaine semble être un espace par excellence où les adultes tiennent en main le destin des jeunes, mettant ainsi de côte leur individualité et leur personnalité créatrices. Il faut donc limiter en quelque sorte l’emprise sociale qui, poissée au loin, devient la domination des anciens sur les jeunes, domination dont les refoulements et les frustrations porteront des conséquences néfastes, voire catastrophiques, dans la vie future.

CONCLUSION
Le mérite de ces deux chapitres de notre auteur est d’avoir montré une fois de plus la nécessité de la relation familiale et surtout de l’éducation familiale pour l’enfant dès les tout débuts de son entrée dans le monde. En Afrique surtout, la famille ne se réduit pas aux parents directs ; elle va bien au-delà des grands parents et constitue ainsi pour l’enfant un vaste champ éducatif et d’expérimentation pour son intégration dans le monde. Dans l’éducation traditionnelle africaine, la liberté crée chez l’enfant la perméabilité et la malléabilité quant à l’influence du groupe familial. L’enfant se façonne suivant le système familial, son univers de vie. Il s’imprègne ainsi d’un modèle, d’un esprit et d’un style de vie particuliers. Une psychologie systématiquement fine œuvre à la base de tout un processus d’intégration et constitue « l’élément essentiel du patrimoine culturel ». Le rattachement de l’enfant à toute la grande lignée familiale montre en quelque sorte la responsabilité éducative qui revient en principe à tous. Le caractère futur de l’adulte est donc fonction de son éducation traditionnelle et surtout de sa famille et de sa lignée qui l’ont marqué dès sa tende enfance. Dans ce sens, comprendre l’éduqué, c’est aussi prendre en compte et analyser son héritage culturel.

BIBLIOGRAPHIE
ERNY P., L’enfant et son milieu en Afrique noire. Essais sur l’éducation traditionnelle, Paris, Payot, 1972.
KI-ZERBO J., Eduquer ou périr : impasses et perspectives africaines, Paris, Unicef-Unesco, 1990.
PALLANTE G., L’autre éduqué. Cours de philosophie de l’éducation, Yaoundé, s. éd., 2007.
PALLANTE G., Esquisse de l’histoire de l’éducation, Yaoundé, s. éd., 2008.

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