mercredi 19 mai 2010

Conception de l'homme en philosophie africaine

INTRODUCTION
Etude ou discours sur l’homme, l’anthropologie est une discipline qui occupe une place importante dans la philosophie, car « comprendre l’histoire présent c’est comprendre l’homme ; penser à l’homme, c’est évoquer une espérance ; s ‘attacher à le comprendre, c’est scruter poliment les signes qui manifestent l’éclosion d’une réalité toujours neuve et surprenante » . L’anthropologie s’attache à l’espèce humaine en tant que celle-ci présente des différences avec l’espèce animale. Elle est plongée dans un dynamisme diversifié qui permet d’avoir une image pluraliste sur l’homme. Or étant donné que la philosophie est fille de son temps, du contexte et du milieu dans lequel elle évolue, parler de la philosophie africaine reviendrait d’abord à comprendre l’homme africain. Cela se justifie par le fait qu’il joue un rôle capital dans la réflexion africaine. Alors pourquoi une anthropologie africaine ? Quelle est sa spécificité ? Et quels peuvent être ses contributions dans l’anthropologie philosophique ?
Pour répondre à ces questions qui constituent le fil conducteur de notre analyse, notre réflexion s’étendra sur cinq parties. Dans la première partie, noue aborderons la différence anthropologique ; dans la seconde nous exposerons la conception occidentale de l’homme, dans la troisième nous présenterons l’anthropologie Africaine dans toute son ampleur, dans la quatrième, nous analyserons l’organisation socio-culturelle de l’Africain. Et dans la cinquième, nous porterons une appréciation critique sur notre travail de recherche.

I- LA DIFFERENCE ANTRHROPOLOGIQUE

Du point de vue biologique, l’homme partage en commun avec l’animal la chair, le sang et l’os. Ce qui fait qu’il est considéré sur le plan de la nature comme un animal à part entière. Il est aussi soumis à toutes les lois biologiques telles que : manger, boire, dormir, etc. Pourtant, l’artifice lui donne un caractère d’étrangeté qui caractérise son existence par rapport aux autres êtres vivants. C’est donc qu’il y a entre l’homme et l’animal, une différence anthropologique du point de vue du corps et de l’artifice. Mais, pour l’homme, nature et artifice vont de pair, car le corps offre un ensemble de possibilités qui permettent à l’existence humaine de surgir.
Il s’agit alors pour nous de « découvrir dans quelle mesure l’organisation propre au corps humain permet en elle-même de rendre compte à la fois de la proximité qui rapproche le vivant humain des autres vivants et de l’écart qui sépare son mode d’être de celui de toutes les autres productions naturelles » .
I.1. Le corps
Sur le plan physique, le corps de l’homme est différent de celui des animaux. Alors que ceux-ci naissent avec un corps performant, et que leur enfance est courte, l’homme, lui, naît avec un corps non spécialisé, déficitaire et une station verticale et bipède. Mais l’handicap de l’homme s’avère à la longue être un avantage puisqu’il devient par la suite plus performant que les animaux grâce au développement du cortère cérébrale ; il devient apte à maîtriser son environnement. « L’homme n’est pas un animal perfectionné, mais réalise autre chose, un autre type d’être, une autre modalité de l’être que ce qui s’organise dans la forme naturelle de l’animal » .
L’homme a une mémoire spécifique. Il a conservé les caractères morphologiques qui ont été transitoires chez les autres animaux, c’est par exemple la perte des poils et le taux élevé du cerveau. Or, la particularité de l’organisme des animaux détermine leur activité de façon contraignante, c’est pourquoi l’animal fait toujours le même geste. Tandis que l’homme a un éventail de possibilités de par la généralisation. Il change d’activité grâce à la médiation nécessaire de l’apprentissage, de la mémoire non somatique comme le souligne Tinland :
Station verticale, polyvalence des membres antérieurs, conservation des traits infantiles, extrême lenteur des croissances et donc dépendance prolongées par rapport aux parents corrélatifs qui définissent les grandes lignes d’une insertion dans le monde, d’une originalité telle qu’elle introduit à une différence d’un autre ordre que celle qui différencie les espèces .
La station droite de l’homme lui est avantageuse pour l’aptitude au développement visuel et à l’écoute, c’est aussi là une des conditions d’apparition des systèmes symboliques : «Les effets du geste et de la parole (sont) plus encore humanisant qu’humains » . Ainsi, l’homme se forme continuellement et le jeu de l’artifice prouve sa supériorité face aux autres vivants.
2- Le jeu de l’artifice
L’outil, la règle et le langage sont des artefacts, car ils ne peuvent être fabriqués que par le cerveau qui chez l’homme est très développé. Ainsi pourvue d’intelligence, l’homme est à même de transformer les choses de la nature à sa propre guise.


a) L’outil
Il y a quelque chose dans l’action de l’homme qui est propre à son espèce et à son héritage filial. C’est le statut de l’outil comme artefact. « Il y a corrélation entre le progrès de l’outillage et la variable somatique jusqu’à la stagnation de l’évolution biologique, moment où la technicité s’envole plus loin » . Chez les hominiens, il y a contrairement aux autres espèces qui vivent selon l’instinct, une programmation naturelle de la fabrication technique inscrite dans le cerveau et la main. A chaque temps d’évolution correspond un outil, ainsi la raison se manifeste au niveau de l’outil. Grâce au cerveau, l’homme a une prise sur le monde qu’il manifeste à travers la technique. Mais, « c’est à partir d’une information extériorisée dans la tradition transmise par l’apprentissage et peut être sous forme des rites initiatiques, que la forme stéréotypée de l’outil est possible » . L’outil est donc né de la nécessité et comme le souligne si bien le professeur Ndébi : « La technique comme prolongement de l’outil, n’était pas inscrite préformée dans le biologique de l’homme. Elle permet de comprendre par son évolution parallèle à celle du corps de l’homme que celui-ci est nanti d’un dispositif cérébral lui permettant d’inventer et d’avoir prise sur le monde » .
L’homme se sert de l’outil parce qu’il lui est utile et celui-ci ne cesse de se perfectionner dans le temps à la grande satisfaction de tous. C’est ainsi que l’homme devient maître et possesseur de la nature. Les innovations technologiques en sont des exemples patents. Mais sur le plan social, il faut des normes pour la régulation de la vie commune.
b) La règle
La règle impose l’ordre extérieur par essence au jeu du désir et améliore les conditions de vie. Elle aide l’homme à une organisation rationnelle. Comme paradigme de la règle, prenons le cas de l’inceste. Il est dans toutes les sociétés interdit de pratiquer le mariage entre un homme et sa mère, sa fille ou sa sœur. Dans ce cas, la règle arrache l’homme à l’aspect uniquement biologique par un ensemble de prescriptions et d’interdits permettant d’assumer « dans la communication humaine la fonction architectonique de l’échange » . Cela ne relève nullement de l’ordre biologique, mais de l’ordre social issu de la pensée symbolique à travers le langage. « La règle, plus encore que l’outil, exprime une nécessité immanente au mode d’être au monde que son corps fait à l’homme » .
En Afrique traditionnelle, les règles varient selon les ethnies et ont un caractère coercitif car elles préexistent à l’individu. Celui-ci doit se conformer à ce qui lui vient de Dieu, des ancêtres et des aînés. Les règles ont pour rôle de régir le comportement des individus au sein de la société ainsi que les rapports entre les Hommes et les choses. C’est dans ce sens que Pierre Erny, en parlant du fonctionnement des règles en Afrique traditionnelle, stipule que celles-ci « ont apparemment un caractère arbitraire, mais en fait elles se tiennent entre elles, se renforcent l’une l’autre en amenant la personne à adopter un type d’attitude précis et cohérent qui se répercute jusqu’au niveau de la posture corporelle et des réflexes les plus enracinés » . C’est l’exemple d’une personne qui s’incline légèrement et tend ses deux mains à la fois pour recevoir quelque chose. Le respect de la coutume, des prescriptions des ancêtres et celles des aînés est fondamental pour l’Africain. En cas de défaillances vis-à-vis de certaines règles, la coutume prévoit des sanctions voire des rites pour réparer la faute commise.
c) Le langage
Le langage a une emprise sur le naturel. Il est à la fois naturel et humain, c’est – à- dire qu’il est symbolique. Selon Lalande, en effet, le langage renvoie à « tout système de signes pouvant servir de moyen de communication » . Ainsi, tout organe de sens peut servir à la création d’un langage. Mais au sens strict ce système renvoie à la communication entre les hommes. Il peut renvoyer à un système de signes vocaux ou graphiques, de symboles ou de règles et de gestes pour l’emploi du langage. Le langage est donc un système propre à l’homme et la parole est « l’acte individuel par lequel s’exerce la fonction linguistique » . Il peut contenir des dits et des non dits, des ironies, des vérités, etc. Cela prouve que si les animaux ne parlent pas, c’est par défaut de penser et de raisonner, qui est une faculté proprement humaine. Le langage humain est intentionnel, il a un sens, exprime des notions abstraites, des possibilités de combiner des mots de façon infinie ou d’altérer le sens d’un signe, ce que les animaux ne peuvent pas faire. C’est est une capacité inhérente à l’homme qui a à la fois un aspect social (la langue qui est extérieure à l’individu, car on peut l’étudier hors de tout acte) et un aspect individuel (la parole qui est un acte volontaire). La langue est aussi un artefact qui manifeste ce qui n’est pas naturellement uni (une déhiscence). Le langage a le privilège d’accompagner la règle et permet d’échanger la pensée.
Pour l’Africain marqué par la tradition orale, la parole revêt une importance capitale. C’est la raison pour laquelle le professeur Ndebi pense que « la parole est créatrice du monde ou de l’univers et ses manifestations ; elle se manifeste dans tout le vécu de l’homme avec ses sens : la vue, l’ouï, l’odorat, le toucher et le goût, autrement dit, elle s’incarne et devient chair » . Et, comme le souligne Théodore Mayi-Matip dans l’univers de la parole, la parole est liée à l’existence.
L’outil, la règle et le langage permettent à l’homme de réaliser par le cerveau développé, une performance surpassant celle de tout organisme spécialisé des autres vivants. Il est par conséquent capable de s’adapter et de survivre même dans les milieux hostiles grâce au cerveau doté d’une grande capacité d’inventer les solutions adéquates pour surmonter les défis. Ainsi, l’artifice concerne le caractère d’étrangeté qui caractérise l’existence humaine tandis que la nature concerne l’unité de l’homme comme être de chair, d’os et de sang. L’homme qui est, originairement fait de limites et de possibilités acquiert dans le temps une supériorité incommensurable sur les autres vivants dans l’univers.
3- L’homme comme principe archétypal de l’univers
Pour l’africain, l’homme est conçu comme ‘’microcosmique’’. Cela signifie que qu’il est d’abord appréhendé comme image du monde, et ensuite comme « modèle archétypal, à partir duquel le monde a été créé ou est créé » . C’est pourquoi dans les cultures africaines, d’après le professeur Ndébi approuvant Memel fote dans Présence africaine, n°73 de 1980 : « Le monde a une signification, il est un homme sexué et l’homme aussi est le monde » . Nous retrouvons aussi cette analogie chez les fali du nord-Cameroun où la tête, le tronc, le sexe et les membres correspondent aux quatre points cardinaux et spécifiquement les régions de leur territoires. L’homme se démarque alors comme ‘’cause de l’univers’’ parce que c’est lui qui fait exister l’univers ainsi que toutes les choses qui s’y trouvent.
Du point de vue de l’anthropologie philosophique, les approches concernant le composé humain sont diverses selon les visions occidentale et africaine de l’homme.
II. LA CONCEPTION OCCIDENTALE DE L’HOMME
La conception anthropologique Occidentale est le fruit d’une longue réflexion qui s’étendit depuis l’antiquité jusqu’au temps modernes. Nous présenterons la pensée Occidentale de l’homme en partant de son historique pour aboutir à son contenu.

1- L’historique anthropologique
La réflexion anthropologique fut une préoccupation qui prit naissance depuis l’antiquité pour se définir avec exactitude au fil des temps.
En effet, dans l’antiquité, la conception dualiste des choses amena à concevoir l’homme comme un être composé de l’âme et du corps. C’est ainsi que Platon, présenta l’homme à partir de deux éléments distincts : le corps qui est la partie sensible de l’individu et l’âme la partie supérieure, indestructible, immortelle, qui après la mort retourne vers les dieux si elle est vertueuse ou se réincarne dans un corps animal si elle est vicieuse . Et le corps est le tombeau de l’âme, la partie inférieure, qui a des relations avec le sensible. Quant à Aristote, la dualité anthropologique est une continuité dans la mesure où l’âme est unie au corps comme la matière à la forme . L’âme que Aristote appelle encore intellect donne la forme au corps. Par conséquent, Corps et âme sont deux entités liées pare que le corps reçoit sa forme de l’âme
Avec la scolastique, sous l’inspiration du néo-aristétolicisme tracé par Thomas d’Aquin, l’homme est défini comme individu possédant un corps et une âme inséparables . C’est dans cette logique que la substance de l’homme est l’âme et le corps est le lieu de la manifestation de cette-ci.
Chez les modernes, le dualisme anthropologique continue sa réflexion. C’est ainsi que Descartes avec son cogito « je pense donc je suis », définir l’homme à partir de son corps et de son âme. Pour lui, le corps est la substance étendue tandis que l’âme est la seule pensée . La conception cartésienne souligne que ces deux composantes de l’homme existent mais de manière séparée, parce que l’âme est le siège de la connaissance et le corps n’est que la matière qui se meut. La fraction des deux réalités humaines amènera Spinoza à les concilier comme attributs de l’unique substance qui est Dieu .
2- La conception anthropologique
La philosophie Occidentale comme nous venons de le voir définir l’homme comme une dualité constituée d’une réalité psychique et corporelle. Cette dualité a fait l’objet de plusieurs débats avec des opinions différents sur l’indissociabilité de ces deux dimensions humaines. C’est à la lumière de la pensée scolastique que l’Occident finit par définir l’homme comme un être constitué d’une âme et d’un corps indissolubles.

L’âme : L’âme vient du latin anima et du grec psyché qui veut dire souffle ; elle est le principe de la vie et de la pensée, différente du corps, elle manifeste son activité à travers lui . L’âme est en d’autres termes un esprit individuel qui est une réalité pensante.
Elle est définie par Fromaget comme « un ensemble de fonctions ou de facultés faisant qu’un être est en vie, faisant que les plantes croissent et respirent, que les animaux sont doués de mobilité, distincts, de sensibilité, que les hommes pensent, parlent, rêvent imaginent » .
Pour Thomas d’Aquin, l’âme est le principe vital qui demeure dans chaque être vivant, végétal, animal et l’homme . Ce principe est animateur et donneur de vie, c’est pourquoi il est encore appelé esprit.
L’âme, ne suggère aucune corporéité dans la mesure où elle n’est pas une réalité palpable, visible mais elle est subsistante et demeure éternellement. C’est dans cette logique que Thomas D’Aquin souligne que seul l’homme possède une âme qui est douée de raison et d’intelligence, ce qui n’est pas pareille pour les animaux et les plantes . En effet, l’âme de ces derniers n’a pas d’activités propres vue qu’elle est liée à l’instinct animal et à la nature, par conséquent meurt avec l’animal et la plante. Deux passage bibliques étayent davantage la différence existante entre l’âme humaine, l’âme animale et l’âme végétale : « Que la terre produise l’âme des vivants » et, « Dieu a soufflé sur son visage un souffle de vie » .
Le corps
Le corps est un concept polysémique qui traduit la matière en physiologie et la subjectivité en psychologie. Anthropologiquement parlant, le corps est cette réalité qui permet à l’homme d’être dans le monde, d’entrer en contact avec les choses et autrui. Il permet à l’individu de percevoir, de réfléchir, d’éprouver des sensations, des sentiments. C’est dans cette même logique que Merleau Ponty fait la différence entre le corps matériel (korper) et le corps humain ou corps propre (leib) définit comme « un système de puissance motrices ou de puissances perceptives dans la mesure où notre corps n’est pas un objet pour un je pense mais un ensemble de significations qui va vers son équilibre » . Le corps est cette réalité humaine animée par l’âme qui est en même temps un moyen qui permet à l’individu d’exister, d’être présent dans le monde, d’appréhender les choses et les toucher, de faire l’expérience avec la réalité sensible et l’altérité. Le corps est l’expressivité de l’âme d’où l’indissociabilité qui existe entre ces deux dimensions humaines.
En conclusion, l’homme Occidental est défini comme un individu composé d’une âme et d’un corps liés par une relation d’indissociabilité. L’âme est le principe vital du corps qui se manifeste extérieurement à travers certaines facultés cognitives (perception, intelligence), facultés affectives (sentiments, émotions) et les facultés instinctives (pulsions, besoins) ; et intérieurement par la conscience du je d’être une individualité qui a un corps et une âme indissociables . L’âme est le siège de l’intelligence, de la volonté, de la sensibilité et de la liberté. Le corps est le moyen par lequel l’homme fait l’expérience de lui-même, avec ses semblables et avec les réalités sensibles.
L’indissociabilité de l’âme et du corps, renvoie à la particularité et à la singularité qui caractérise l’individu. Dans la mesure où l’âme qui est le principe vital est unique et propre à chaque être humain, d’où cette différence qu’on retrouve dans le développement physique, dans les sentiments, la manière de penser et la manière d’être Raison pour laquelle, personne ne ressemble à personne. Toute entreprise ou projet sur l’homme en Occident est invité à tenir compte des dimensions physique et psychique de l’homme
III - LA CONCEPTION AFRICAINE DE L’HOMME
En Afrique, contrairement au dualisme occidental, l’homme a au moins trois dimensions formant une unité visible et invisible. La multiplicité des éléments se situe surtout sur le plan invisible. Nous faisons ici l’aperçu de l’homme dans quelques cultures : Egypte Antique, Tchad, Congo, Nigeria, Rwanda, etc.
1- L’anthropologie égyptienne
Pour les égyptiens de l’antiquité, l’homme est une réalité complexe formant une synthèse, composé de trois cercles divisés chacun en trois, il forme une tri-unité : « L’image et le miroir du macrocosme-univers » . Nous sommes dans l’Egypte de la période pré pharaonique et l’Egypte pharaonique, les égyptiens reconnaissent déjà à la personne humaine un tout indivis mais composé de neuf éléments rangé en trois grandes catégories : le plan physique, humain et divin. Ainsi la formule se résume en 3 x 3 = 9.
De façon distincte, cela donne : Le KHAT/ DJET ou le corps physique, est l’unique composante matérielle de l’homme. Il est périssable et dégénère après la mort, c’est cette partie qui doit être momifiée.
Le AKH ou AKHOU c’est l’esprit lumineux et impérissable du défunt qui rejoint les dieux. Il contribue à la survie de la personne dans l’au-delà. Le BA / BAÏ ou esprit ou encore âme, quitte le corps après la mort, c’est la force vitale. Comme un fantôme volant, la Ba sort de la tombe, survole les lieux chers fréquentés par le défunt de son vivant pour le faire participer à la vie extérieure. Il est ainsi à l’extérieur de la momie tantôt dedans, lieu où il se pose. Ces deux instances sont des composantes immatérielles et impérissables.
Le KA c’est la force vitale qui n’est utile pour l’homme que lorsqu’il est en vie. C’est elle qui soutient et garde en vie l’homme, lui conférant nourriture, santé, bonheur. Elle le quitte juste avant la mort, c’est une substance immatérielle périssable une force vitale transcendantale, le double de l’individu l’entourant en permanence. Le IB ou AB c’est le cœur, le siège de la pensée, centre de la mémoire et de la conscience morale, qui n’est opérationnelle que lorsque toutes les facultés de l’homme sont encore vivantes. C’est la conscience intime. Le KHAIBIT ou le SHOUT, c’est l’ombre qui accompagne le vivant et ne le quitte qu’après sa mort. On l’appelle aussi l’ombre du défunt, capable de sortir du tombeau. Le SEKHEM traduit par puissance, dit l’autorité du vivant qui s’anéantie après la mort. C’est l’âme ou énergie spirituelle. Le REN ou NYI se traduit par nom : différent de l’étiquette, « c’est l’élément fondamental de la personne (…) il assure la spécificité du moi et le prononcer, c’est agir sur l’être » du porteur de ce nom ; il exprime aussi tout un programme de vie, voire même la vocation du porteur. C’est le nom ou parole caché qui révèle l’essence de l’être. Le SAHOU, c’est le corps éthérique, double éthéré, corps spirituel .
Cette totalité de l’homme représente une ontologie systématisée, qui laisse croire que les égyptiens avaient une profonde maîtrise de l’histoire naturelle, de l’astrologie et de la médecine . Ainsi, ayant en lui une dimension divine, l’homme est prédisposé à la transcendance. Il a donc les capacités de sortir de son corps matériel pour devenir immatériel et se situer dans le monde de la sorcellerie selon le langage africain. L’homme est par là même une réalité faite de l’humain et du divin, du ciel et de la terre, dans cette optique, il est à la fois passager et immortel, en bref, c’est une réalité pleinement cosmique. Dans l’Egypte antique, la vie de l’homme était réglée par les principes mâatiques impliquant le savoir vivre. L’homme appartient ainsi à deux monde, celui des vivants et celui des morts. Il est esprit, animal, végétal, minéral. Il est feu, eau et vent. Nous constatons après cette brève analyse de l’Egypte ancienne, qu’elle a un fond commun, beaucoup de similitudes avec l’Afrique noire dont nous allons développer quelques aspects.
2- La notion de personne et ses composantes chez les Sara du Tchad .
Chez les Sara, la personne est composée de deux entités principales : le « ro » qui signifie corps, matière et le « ndil » qui renvoie à l’esprit. Les deux mots s’accompagnent toujours du complétif « m », pronom réfléchi exprimant la possession et rattachant l’objet à la personne qui parle. Ainsi pour parler de son corps on dit : « ro-m » ou « ndil-m », l’un désigne le moi visible et l’autre le moi invisible. Celui-ci renvoie encore à deux principales entités qui peuvent être traduit en français par l’ombre et le double. L’ombre, quand il s’agit de ce qu’on voit sur le sol quand il y a le soleil ou l’image reflétée dans l’eau, le miroir et même sur une photo. Le ndil est le double immatériel qui se détache parfois de la personne sous l’emprise d’une émotion surtout quand il s’agit d’une grande frayeur ou d’une angoisse. Ce double dit-on, peut être pris par les sorciers ou « mangeurs d’âme », parce que quand le corps se repose la nuit, il le quitte pour pratiquer les activités qui ont occupé le corps pendant la journée en ajoutant d’autres. Cela explique les rêves qui sont les reprises des activités de la journée précédente. A coté de ce double, il y a un autre qui est différent, invulnérable et immortel. C’est ainsi qu’après la mort d’une personne, son double quitte le village pour aller habiter le village des ancêtres une fois que toutes les cérémonies funéraires sont accomplies. Autrement, ce double circule dans le village et apparaît de temps en temps aux membres de la famille. Il peut soit avoir un pouvoir bénéfique, soit un pouvoir maléfique selon les expériences vécues de son vivant. Le m est donc ce qui renvoie à l’aspect global de la personne qui est un tout.
Chez les Sara, le corps s’appréhende aussi à travers les aspects du « moi ». Dans ce cas, un membre du corps est identifié à la personne tout entière et cela se traduit dans le langage.
- le moi social identifié à la bouche
La qualification des relations qu’on a avec les autres se traduit par l’expression : bonne ou mauvaise bouche. Ainsi dans l’aspect relationnel, la personne est identifiée à sa bouche. Avoir une bonne bouche signifie être une personne de dialogue, sachant prodiguer de bons conseils et vivant en harmonie avec l’entourage. Dans le cas contraire, celui qui a des difficultés relationnelles avec son entourage est qualifié de mauvaise bouche. Il existe des bouches légères et des bouches lourdes, les unes sont bavardes et les autres timides.
- le moi orienté vers le monde : Il s’agit du moi synonyme des yeux. Il concerne surtout les personnes envieuses, avares ou cupides, jalouses. Pour parler des choses étonnantes, qui émerveillent, on dit qu’elles « fatiguent les yeux ». Quant à la compassion ou la pitié, elles se traduisent par la souffrance des yeux : « mes yeux souffrent avec lui ».
- le moi agissant
Il est identifié à la main. Beaucoup de noms masculins ou de proverbes contiennent le mot « dji-m » qui signifie main. Cela exprime la puissance ou le pouvoir d’action de l’homme et sa responsabilité face à la nature qu’il doit domestiquer et transformer.
- le moi intellectuel
Ici, il s’agit de la tête. Le mot « do » qui signifie tête se trouve souvent dans des expressions faisant allusions à un fait, à la mémoire, l’intelligence, l’équilibre mental, la rectitude de l’esprit, la liberté ou l’autonomie. Dans la défaillance de ces facultés, le mot tête s’accompagne d’une expression négative.
3- Les composantes de la personne dans « la puissance du sacré » de Faik-nzuji
Dans son aspect corporel, la personne est une réalité très complexe. Chez plusieurs peuples en Afrique, on parle tantôt du double, de l’esprit, du fantôme, etc. dans l’ouvrage de Faik-nzuji, il est beaucoup plus question de la conception de la personne chez les peuples vivants le long des rivières Kassaï et Luluwa du « Zaïre » (l’actuelle République démocratique du Congo). Ici, les mythes représentent la personne comme un être composé de deux sortes de corps : l’un « immatériel » et l’autre « charnel ».
Le corps immatériel renferme trois éléments différents : L’esprit qui est une chose parfaite et de nature divine ; le double, chose imparfaite et spécifiquement liée à la nature humaine ; le fantôme qui est la partie animale de l’homme. Le corps humain, dit l’auteur, est un « habitacle », c’est-à-dire le siège de tous les éléments spirituels mentionnés ci-dessus. Il est également ce qui fait la frontière entre le cosmos et la personne elle –même, c’est encore le premier symbole donné à l’homme pour communiquer avec les autres et avec le cosmos. C’est pourquoi symboliquement quand on possède une particule prélevée sur le corps, c’est la personne même qu’on possède. L’auteur le souligne si bien dans son ouvrage Les Symboles graphiques en Afrique noire, quand il dit que « des éléments du corps (cheveux, bouts d’ongles, morceaux d’os, etc.) sont prélevés pour servir de symboles dans les pratiques magico-religieuses » . Même les habits ou autres objets ayant appartenus à quelqu’un peuvent aussi rentrer dans cette catégorie. Agir sur ces choses c’est agir sur la personne même.
4- la personnalité africaine chez les Yoruba du Nigeria : Unité et pluralité de la personne
Chez les Yoruba, la personne est constituée des composantes matérielles, des composantes immatérielles périssables et d‘autres impérissables. Les composantes matérielles sont faites du corps (ara) qui est la partie intégrante du moi et qui étant fait d’argile se transforme en poussière après la mort. L’ombre (ojiji) est une autre composante qui accompagne le corps. Il périt après l’inhumation du cadavre. Toute action portant sur l’ojiji vise la personne toute entière. Un autre aspect est celui de « distributeur de nourriture » ou ikpin-ijeun. Louis Vincent attire ici notre attention pour nous montrer qu’il ne s’agit pas seulement de l’intestin à l’intérieur de l’homme, mais tout l’intérieur du corps.
Quant aux composantes immatérielles périssables, elles se réduisent à l’iye ou esprit qui se situe au niveau de la tête, derrière le front. Distingué de l’ero qui est l’intelligence ou la réflexion, la folie fait perdre à l’home son esprit .
Les composantes immatériel impérissable selon l’auteur sont au nombre de trois : l’okan ou cœur, c’est le lieu où se situe la valeur profonde de la personne. « C’est l’instance la plus représentative de la personne dans sa totalité bien qu’il puisse quitter le moi durant le sommeil » . C’est l’instance qui parviendra au jugement dernier pour être châtié ou recevoir une récompense selon ses œuvres. Ensuite, nous avons l’emin qui est le souffle vital. Celui-ci abandonne le corps lorsque s’arrête la respiration. Il va rejoindre l’Etre Suprême à qui il appartient. Nous avons enfin l’ori qui est la tête ou encore olori (seigneur de la tête). Cette partie se réincarne dans le nouveau né qui est envoyé des ancêtres.
5- La conception rwandaise de la personne
Les Rwandais conçoivent que c’est le cœur, Umutima qui caractérise l’homme ; c’est l’intérieur de celui-ci. Le cœur est ainsi le siège de la vie affective, émotionnelle, intellectuelle et volitive.
Pour le rwandais, la personne est composé du : Corps, Umubili, l’ombre, Igicucu et la vie, Ubuzima . Pour ce faire, Janheinz Jahn, perçoit que dans la langue Kinywarwanda, il existe trois mots pour désigner la vie : Bugingo pour exprimer la durée d’une vie ; Buzima qui consiste en la réunion du corps et de l’ombre, ce qui donne naissance à la vie et la mort survient lorsqu’il y a séparation de ces deux éléments. Donc le Buzima c’est la vie biologique et le Magara, l’expression de la vie spirituelle. Le Magara et le Buzima sont donc en l’homme. Celui-ci partage avec l’animal le buzima. Un homme sans vie devient pour les Rwandais un Muzimu. Le Magara, étant affectée par la mort, ne disparaît pas sans laisser de trace, c'est-à-dire le « Nommo » (parole, eau, sperme) qui est la force vitale, c’est ce qui persiste dans l’homme ; ce qui a formé sa personnalité, que Tempels a appelé le Muntu. C‘est la raison pour laquelle Kagame distingue, dans sa langue, vivre et exister. Pour lui les défunts ne vivent plus, ils existent. Nous comprenons, alors pourquoi pour les africains les morts ne vivent pas mais ils existent à des forces spirituelles . Raison pour laquelle l’ancêtre reste en étroite collaboration avec sa descendance et Jahn, reprenant l’expression de Tempels affirmera que « l’ancêtre demeure en liaison avec sa descendance pour (…) faire bénéficier celle-ci de l’efficacité de sa puissance vitale. C’est seulement lorsqu’il n’a plus de descendant qu’il est vraiment mort » .
6- Les trois instances communément admises en Afrique selon Hebga
Dans son livre intitulé La rationalité d’un discours sur les phénomènes paranormaux, le professeur Hebga propose d’analyser les trois instances communément admises en Afrique. Il s’agit du corps, du souffle et de l’ombre. Contrairement aux occidentaux, il a une vision triadique de la personne humaine car selon lui, les instances de la personne sont en nombre variable selon les différentes traditions culturelles africaines.
1- Le corps
C’est une instance matérielle nommé en Basa, Nyuu, en duala, Nyolo, en Ewondo, Nyol. C’est la seule instance de la personne qui tombe sous les sens, qui se présente et se laisse appréhender comme tout le vivant. Le corps est l’épiphanie, l’extériorité de la personne. Se référant ainsi à la tradition africaine, Hebga affirmera que « le corps dans les différentes traditions africaines apparaît, comme le dehors de la personne, mais il est avant tout, le signe sensible de la personne, en tant qu’offerte à la prise des sens » . Cette instance disparaît avec la mort. Elle est détruite par la terre, les animaux et les personnes.
2- Le souffle
Le souffle, en Bassa Mbulu et Mudi en Duala, relève des instances invisibles de la personne. Mais, il ne s’agit pas du souffle des narines ordinaires, précise l’auteur. Le souffle revêt ici une signification abstraite. Car, « le souffle des narines n’est pas le souffle vital ; il en serait plutôt le signe. La vie ne tombe pas formellement sous les sens, mais à travers une série de signes qui l’annoncent plutôt qu’ils ne la montrent. Elle se laisse deviner plus qu’elle ne se fait voir » .
Dans la vision des langues africaines, il désigne une certaine réalité : « Réalité qui n’est pas une partie intégrante de la personne, mais la personne tout entière en tant que douée de vie » . Le souffle est donc un aspect fonctionnel de la personne représentant la fonction de la vie et de la persévérance dans le temps. Tandis que « l’ombre interne, c’est toute la personne vue sous l’angle de la mobilité, de l’agilité, de la maîtrise de l’espace, de ce qu’on nomme immatérialité ou spiritualité » . C’est l’homme quand il échappe à la pesanteur et à la saisie par les sens. L’ombre déborde le corps et peut agir au-delà de sa sphère d’action normale. C’est le souffle qui reste dans la personne qui dort tandis que l’ombre peut sortir et voyager.
c- L’ombre
L’ombre relève également du domaine invisible. Pour Hebga, l’ombre est différente de la silhouette reflétée par le corps d’où cette explication :
Certains africains, et Kagamé nous assure que c’est le cas chez les rwandais, croient pouvoir distinguer entre l’ombre portée d’une personne et celle projetée par un animal ou un objet. Or me semble-t-il, ce n’est pas au niveau de l’ombre elle-même en tant qu’image silhouettée du corps qu’il faut placer la différence, mais celui de l’être représenté et qui est lui-même invisible de même que le souffle des narines .

L’ombre est ainsi cette réalité dynamique qui agit au-delà du corps. Cette instance est en puissance et s’actualise par ordre de la personne.
L’addition de l’ombre et du souffle procure une autre instance appelée le double qui n’est pas du tout une appellation africaine. Le double désigne la personne dans sa totalité sous le signe de « l’agilité », de « la subtilité », de « la maîtrise du temps » et de « l’espace ».
Hebga, parlant du cœur, se réfère aux anthropologues et philosophes africains qui le considèrent comme une instance de la personne au même titre que l’ombre et le souffle. Le cœur est ainsi le siège de l’intelligence, de la volonté, de la sensibilité. Cette instance est immatérielle et spirituelle.
Nous constatons qu’en Afrique noire, le corps constitue un aspect de la personne parmi tant d’autres (double, ombre...), c’est le lieu de symbolisation des valeurs de la culture. Un Muntu en vie se manifeste ainsi comme corps, souffle, ombre, cœur. Toutes ces instances sont inséparables car la personne est un tout. C’est à travers cette conception pluraliste que Hebga rend intelligible les phénomènes paranormaux sans recourir à la science.
Pour illustrer ses propos au sujet de cette conception commune, l’auteur présente le panorama de quelques traditions africaines. En effet dans l’ouvrage, La mort et ses résonances dans la vie des Alladian d’Addah, Eugene Nevry (Ivoirien) définit l’homme comme le vivant constitué de trois éléments, un élément visible, le corps ou edouwoulou (peau du corps, qui renvoie aussi au corps), un autre élément invisible qui est l’âme ou wuawua et un troisième élément qui est le double ou inhin.
Quant au zairois Bimwenyi Kweshi, le corps n’est pas « l’image de l’homme tant que celui-ci est vivant, il est lui-même, l’être même visibilisé. Il n’est donc pas un simple chariot, mais le muntu muine en tant qu’il est présent au monde sublunaire » . C’est la même conception dans plusieurs autres sociétés où le corps est l’expression du tout, pouvant aussi exercer « la fonction métaphysique d’exprimer le mobile de l’action et sa finalité » . C’est le cas chez les fong du Bénin, les basaa, duala et ewondo du Cameroun.
Le corps représente aussi l’extériorité c’est- à- dire la peau, l’enveloppe. Cette vision n’est pas exclusivement africaine, on la retrouve chez tous les peuples. Le professeur Hebga invite aussi à saisir le corps « comme fonction de toute la personne ; fonction de la sensibilité, de l’ouverture au monde » .
IV. L’ORGANISATION SOCIO-CULTRURELLE DE L’AFRICAIN
L’homme Africain vit dans une société qui est bien structurée avec pour objectif de former son identité et sa personnalité afin qu’il se socialise et s’intègre dans son milieu socio-culturel et cosmique. Cette organisation se réalise à trois niveaux : politique, morale et culturel.
1. L’organisation politique
Il est important de préciser au préalable que l’Afrique traditionnelle a une forte organisation politique. En effet, après avoir assuré le minimum vital pour l’ensemble du peuple, la société se donne comme choix politique d’administrer les hommes.
Le système politique de l’Afrique traditionnelle est identique malgré la différenciation dans la pratique selon les formes d’appropriation collective du sol et la culture d’un peuple. Cette gestion politique se vit autour d’un chef, des dignitaires et sacrificateurs, des assemblées et des réunions.
Le chef doit, dans l’exercice de son autorité, obéir plus encore que tout autre, à la coutume qui est la source de sa légitimité. Il a pour « fonctions essentielles de conférer à l’ensemble d’appareil administratif et judiciaire un découpage de circonscriptions territoriales ; la délimitation des compétences entre les autorités locales, l’établissement de règles »
Les dignitaires et les sacrificateurs travaillent, dans ce système au service des assemblées. Les dignitaires sont chargés de mettre en œuvre les décisions prises en commun. Les sacrificateurs effectuent quant à eux les opérations symboliques nécessaires à la reproduction de la société. Ils sont indispensables dans la mesure où l’intervention rituelle est un élément nécessaire du processus d’appropriation de la nature par l’homme.
Les assemblées administrent les affaires de la collectivité. Les problèmes multiples sont mis en débat. A coté des litiges entre particuliers à propos des limites de leurs lopins ou des querelles concernant les priorités accordées dans l’irrigation des basses terre.
Les réunions ont aussi pour objet de promouvoir des initiatives collectives : la réfection des chemins, l’organisation des sacrifices, par exemple. On y traite des questions intéressant l’ensemble de la collectivité, comme les rapports avec les autres terroirs.
Seule l’assemblée est à mesure de prendre des décisions engageant la vie de la collectivité. La participation à l’assemblée est ouverte à tous les hommes. Dans cette organisation, les dignitaires jouaient un rôle prépondérant. Par exemple dans le royaume de Douala (Cameroun) où ils se partageaient la responsabilité des taches communautaires, Jean Bruyas affirme que :
«La confrérie Djengu fut active dans la construction de la royaume Magique et de ses mythes inspirateurs. Elle contrôlait le culte d’Etat et parvint, par le biais des confréries dans les Etats voisins, tel l’Etat Bamoum, à exercer son contrôle sur ceux-ci. La confrérie Ngé emprunté à l’ethnie Basa fournissait les fonctionnaires d’encadrement et les gardes territoriaux,-Le Mangi exerçait le pouvoir de police. La confrérie Mbwéorganisait, tout au long de la cote, les guildes, des marchands, c’est- dire les chaînes commerciales »
Il résulte de préciser que la structure centralisée des royaumes implique une hiérarchie territoriale : les groupes d’habitation sont alors reliés entre eux pour former des cantons ou des districts qui peuvent constituer une province.
2-La morale dans la tradition Africaine
La dignité de la personne humaine et la place de la femme
La morale dans la tradition africaine est anthropocentrique. C’est une morale respectueuse de la personne humaine et de sa dignité. Certains proverbes d’ailleurs l’expriment clairement :
En swahili par exemple on dira mtu ni mtu pour signifier que l’homme, quel qu’il soit, est avant tout un homme. Ou encore mtu si nyama c’est à-dire que l’homme n’est pas un animal. En langue shi, on dit ogay’owabo arhamujira muntu qui se traduit par celui qui hait son semblable ou son prochain ne le considère pas comme un homme. Un proverbe luba dit batu basambuka mutshi, kabatu basambuka bantu, c’est-à-dire on enjambe les arbres et non les hommes. Les kongo disent : Bantu, imbantu, bintu mbitu. En d’autres termes, les hommes sont bien différents des choses. En kiwoyo, on dira d’un petit enfant qui a rendu un service : mbwa mbwa, muntu muntu. Ce qui signifie : le chien est chien, l’être humain est être humain. » .
Ces proverbes et expressions montrent l’importance de la personne humaine. La personne humaine ou le muntu, comme disent les Bantu, vaut plus que toutes choses. Quel que soit son âge, son sexe, son origine clanique, l’être humain est différent d’un animal. Par conséquent, il est interdit de lui faire subir des traitements dégradants. Néanmoins, cette perspective ne supprime pas les différences entre hommes et femmes. Ces différences ne sont pas synonymes des inégalités.
Un regard critique sur les traditions africaines révèle qu’elles sont aussi anthropocentriques c’est-à-dire l’être humain masculin est placé au sommet des hiérarchies. En langue tshiluba, au Kasaï, an République démocratique du Congo par exemple, « ce qui est gauche (côté considéré comme faible) est dit féminin, tandis que ce qui est dit droit (côté fort) renvoie au masculin. » Cependant, l’homme seul ne constitue pas réellement une personne humaine.
Certaines études de la tradition africaine révèlent l’apport particulier de la femme comme agent de la culture et de la civilisation originale :
« La femme Africaine, du moins dans la société précoloniale, n’est ni un reflet de l’homme ni une esclave. Elle n’éprouve aucun besoin d’imiter l’homme pour exprimer sa personnalité (…) Mais sa civilisation, parce qu’authentique féminine, s’est révélée heureusement complémentaire de l’authentique civilisation masculine pour former une seule civilisation négro – africaine » .

La procréation rend absolument complémentaire l’homme et la femme. Dans les sociétés traditionnelles africaines, les enfants sont les bougeons de la société, et chaque naissance est comme le début des pluies.« La vie jaillit et la communauté prospère. » la naissance d’un enfant ne concerne pas seulement ses parents, mais un grand nombre des membres de sa famille, les vivants comme les défunts.
La grossesse est la première indication de l’arrivée prochaine d’un nouveau membre de la société. « La future mère devient alors un être à part. Ses voisins et ses parents la traitent d’une façon particulière et leurs égards se poursuivront après la naissance. Dans certaines sociétés, le mariage n’est complètement reconnu ou consommé qu’au moment où la jeune femme a eut un enfant. » La première grossesse est donc le sceau définitif du mariage, le signe d’intégration totale de la femme dans la famille de son mari.
Malheur à la stérile car, en dépit de toutes les qualités qu’elle peut avoir, son incapacité à mettre au monde des enfants est pire qu’un meurtre : « Elle est devenu l’impasse de la vie humaine, non seulement pour la lignée généalogique, mais également pour elle-même. Lorsqu’elle meurt, il n’y a personne issue de son sein pour se souvenir d’elle, pour la conserver dans l’état de survie personnelle, elle sera purement et simplement oubliée » . Il se peut qu’elle ne soit pas responsable elle-même de cet état de choses, mais cela ne l’excuse pas aux yeux de la société. Son mari peut, dans une faible mesure remédier à cette situation en ayant des enfants avec une autre épouse, mais la femme stérile porte une marque indélébile.
Dans les sociétés traditionnelles africaines, la vie véritable n’est pas celle de l’individu, mais celle du groupement : grande famille, clan ou ethnie. La destinée individuelle repose sur le salut collectif, c’est-à-dire la sauvegarde de l’unité mystique globale. « L’homme Africain traditionnelle ne découvre donc de signification à sa propre vie qu’en relation avec la vie globale du groupe, hors de laquelle il n’espère pas pour lui – même de survie. »
La vie en communauté
Pour garantir l’harmonie, la cohésion et la sécurité du groupe, il existe des obligations et des interdits concernant notamment les objets dont on ne peut se nourrir, les personnes avec lesquelles on ne peut contracter de mariage ou entrer en relations sexuelles, les lieux ou l’on ne peut se rendre, les mots que l’on ne peut poncer. « Lorsqu’un être humain viole un de ces tabous, tout se passe comme s’il accumulait sur lui, et donc sur la société elle-même, une saleté magique capable de compromettre au sein du groupe l’équilibre des forces. »
Parmi les interdits, certains découlent logiquement du corps de croyance : par exemples, la prohibition de l’inceste, ou le vol d’objet sacré. D’autres se sont forgés après l’arrivée d’un malheur considéré comme un châtiment. Les contrevenants sont exposés à des peines comme par exemple être exclu du groupe jusqu’à ce qu’il puisse laver sa culpabilité par des purifications. « Afin de rétablir l’ordre perturbé, le Diola de la base Casamance (Sénégal), doit recourir à la confession qui lui renseignera sur l’interdit qu’il a enfreint (peut être par méconnaissance ou par oublie) et se livrer à la purification qui le réconciliera avec l’esprit courroucé. »
Les délits publics
Dans les sociétés traditionnelles, aucun événement ne peut se produire sans qu’un antécédent en soit la source. « Tout événement qui menace la destinée du groupe social – blessure, mort subite d’un de ses membres comme aussi épidémie, sécheresse, incendie par la foudre a nécessairement une cause intentionnelle. »
Sont aussi considérés comme délit publics l’atteinte à la personne des chefs ou des dignitaires, à leur santé, à leur dignité, à leur vie, à leurs proches, aux interdits collectifs, d’un manquement aux rites cultuels, d’un recours aux maléfices conçus comme entraînant l’infructuosité de la chasse ou de la pêche, l’infécondité de la terre.
Par opposition aux précédentes, d’autres infractions sont considérées comme ne portant pas atteinte à la collectivité globale. C’est au groupe particulier qui se trouve lésé qu’il appartiendra d’aviser au sujet de telles infractions. La famille ou le clan atteints auront le choix entre diverses attitudes :
« ils pourront mener une action contre la famille ou le clan auquel appartient l’auteur de l’acte ; une telle action, défensive et offensive, est une forme de guerre et sera menée jusqu’à la victoire ou jusqu’à une paix de compromis peut-être après que plusieurs générations se seront succédées. »
Lorsqu’une peine de mort est prononcée, c’est un proche parent qui doit assurer l’exécution. « Ainsi en est-il, chez les kikouyou du Kenya, qu’il s’agisse d’étrangler le coupable ou, dans le cas de crime de sorcellerie, de mettre le feu au bûcher » .
Dans les sociétés traditionnelles africaines la séduction, le rapt, l’inceste et l’adultère sont rigoureusement sanctionnés. Certains peuples font recourt à des peines corporelles. Ainsi chez les Nkoudos (R.D.C) « la femme nue dans un carcan, fer aux chevilles, subissait les morsures des fourmis ou les brûlures d’un lavage intime à l’eau pimentée ». Les Zoulous (Afrique du sud) mutilaient l’organe avec un cactus.
Mais selon de nombreuses coutumes, les jeunes gens et les jeunes filles concevraient une très grande liberté de conduite tant qu’ils étaient pas encore passés au crible des épreuves d’initiation qui feraient d’eux des membres effectifs de la communauté.
Les autres infractions telles que le vol d’animaux de ruches et du bétail étaient généralement punis avec une relative sévérité. A l’obligation de restituer et au paiement d’une amende, pouvaient s’ajouter des peines corporelles rigoureuses : fustigations, voire ablations d’un membre.
Hormis les cas d’évidence et fragrant délit, le suspect était soumis aux épreuves consacrées par la tradition. C’est le recours à l’ordalie, celui qui y résistait prouvait son innocence.
L’ordalie, « elle est une épreuve physique dont le résultat permet de connaître le jugement des dieux, des esprits lorsqu’un malheur (maladie, sécheresse, mort, vol important…) frappe la collectivité. Elle permettra de désigner le coupable, puis de le retrancher du groupe pour libérer celui-ci de la souillure. »
Parmi ces épreuves, il ya : les épreuves par la flamme, par le fer rouges, par l’eau bouillante ou le poison.
« Chez le sérer (Sénégal) comme en bien d’autres régions, un fer rouge était appliqué sur la langue du suspect. Lorsque le fer occasionnait une brûlure profonde, l’homme était roué de coups sur place et chevé. Chez les toupouri (Cameroun), le suspect doit retirer un outil au fond d’une bassine remplie d’eau bouillante. S’il est innocent, il retirera l’objet sans brûlure. Chez d’autres peuples, notamment en côte d’Ivoire, on verse de l’eau brouillant sur l’avant – bras de l’accusé. S’il ne se produit pas de cloque il sera déclaré innocent. »
L’épreuve par le poison était très répandue, surtout chez les peuples bantous. « Au Cameroun et ailleurs, sont employés notamment l’euphorbe candélabre, le strophantus preussi, le kura (poison extrait du cactus), le fiel de crocodile » .Les piments étaient souvent utilisés chez les Bamiléké du Cameroun. « Les suspects de vol ou de magie noire étaient astreints à « boire la pierre », c’est-à-dire à l’humecter de salive et y aspirer du piment qui s’y trouve frotté »
3- Organisation culturelle
La culture se définie comme un ensemble de manière de vivre, de faire et de penser propre à un groupe. Elle est une totalité complète qui contient les connaissances, croyances, arts, lois et tout autre capacité ou habitude acquise par l’homme en tant que membre de la société. Généralement elle a pour but la sauvegarde d’un patrimoine propre à une collectivité donnée. Nous voulons dans notre analyse relever les différents éléments qui se retrouvent dans l’univers culturel africain.
- Le culte des ancêtres ou des morts : La conviction de ce culte repose sur l’idée que les morts ne sont pas morts, ils vivent d’une existence différente de la nôtre. En effet, en Afrique Noire la vie ne cesse pas avec la mort. Le mort est un vivant d’une autre espèce qui a besoin de se nourrir. Ainsi les ancêtres que nous considérons comme héros du passé demeurent toujours présents prêts de nous cependant ils font parti du divin. Les ancêtres et les morts sont toujours présents avec les vivants. Ils se manifestent aux vivants soit par des événements heureux, soit dans les sinistres. Désormais prêts à protéger les vivants qui s’acquittent envers eux de leurs devoirs et qui les honorent. Ces morts sont aussi prêts à combattre les ennemis de leurs descendants parce qu’ils bénéficient de certains privilèges auprès de Dieu. En effet, ils participent du divin et un culte actif leur est dû. C’est pourquoi il faut les honorer afin de bénéficier de leur constante protection. Pour ce faire, il faut célébrer leur mémoire à travers « pratiques quotidiennes, cérémonies fréquentes, fêtes solennelles » . C’est dans ce sens que « le culte des ancêtres et des crânes parait constituer tout le fétichisme des Bamiléké. Les rites qui le célèbrent semblent avoir pour base la crainte et le souci de se soustraire à la vengeance des défunts » . Ce culte est assuré par le patriarche de la famille et généralement se termine par un repas partagé, qui symbolise la communion des vivants entre eux et des vivants avec les morts ; ceci témoigne aux yeux de tous qu’ils sont une communauté intime et sacrée.
- La préoccupation quant aux forces naturelles et le culte des génies de la nature : de même que les ancêtres, les esprits de la nature ou forces de l’univers sont conçus comme dotés de conscience, volonté et aptes à emprunter diverses formes physiques, c’est pourquoi il faut être en harmonie avec elles, ainsi, l’homme doit se mettre en accord pour éviter de les frustrer en respectant les interdits et les rites culturels. Cependant l’homme doit pouvoir « compter avec elles pour satisfaire ses besoins essentiels : nourriture, abri, vêtements » . En effet, les forces de la nature octroient un climat favorable pour la récolte et la survie du groupe.
- La participation de l’homme au dynamisme universel : pour l’homme africain, toute activité ou manifestation est un acte comportant une signification car « tisser, cultiver, c’est participer à la création qui obéit à des lois surnaturelles. Danser, chanter, sculpter, c’est accomplir un rite dont le geste, le mouvement est symbole » . En effet, les manifestations extérieures sont des représentations du monde invisible qui devient visible à celui qui détient la clé de la lecture ou de l’interprétation. En tissant par exemple, l’homme devient co-créateur de Dieu. C’est pourquoi il faut s’acquitter sainement de sa tâche pour être en communion avec Dieu. Il en résulte donc qu’il faudrait que chacun agisse avec efficacité dans l’univers en s’acquittant dignement et raisonnablement de ce qu’il a à faire pour rendre favorable la destinée de l’homme. Cette notion de participation engendre une impression de certitude, de solidarité, de confiance ce qui naître en l’homme une volonté de prendre appui sur la réalité universelle pour agir avec efficience. Cependant, il y a aussi dans cette participation de l’homme au dynamisme universel, la croyance à certains phénomènes comme la lycanthropie qui « est la faculté de revêtir des formes diverses animales ou fantomatiques et, le cas échéant, d’accomplir ainsi des méfaits en cachant sa véritable identité » . C’est ainsi que quelqu’un peut prendre la forme d’un animal pour faire du mal et parfois même du bien. Notons aussi la croyance à l’envoûtement qui « consiste à établir une représentation d’un être sur lequel on souhaite agir (…) et d’effectuer sur elle des pratiques qui porteront effet sur la partie correspondante de l’être réel, ou à s’emparer de quelque chose qui a été en liaison étroite avec lui » . Nous trouvons aussi la bilocation qui est « la faculté (…) de sortir de leur corps notamment pendant le sommeil et d’accomplir dans un autre lieu, parfois éloigné, des actes dont peut être quand ils retrouveront l’usage de leurs facultés, ils n’auront pas conscience » .
- L’initiation : c’est le point de départ d’un cheminement, l’entrée dans un processus, qui conduit à la plénitude de l’Etre suprême (qui renvoie à une transcendance, à Dieu ) et de l’être en particulier qui est homme . Cette période est un temps qui apparaît comme une nouvelle vie au cours de la quelle le candidat doit acquérir de nouvelles valeurs et des connaissances, sures et certaines. En effet, l’initiation consiste à procurer les moyens de vivre au candidat et de le mettre en contact avec les génies et les ancêtres. Pendant ce temps de l’initiation, le candidat doit passer du monde ancien au nouveau ceci symbolise le passage de la mort à la vie pour rejoindre le principe premier. En effet, au cours de l’initiation le candidat meurt dans le monde ancien pour renaître à un nouveau monde au sein duquel il acquiert tous les secrets de sa communauté. Ce passage annonce à l’initié qu’il devient adulte, mais lui annonce en même temps qu’il est mortel. Les rites d’initiations ont des significations multiples et ont pour but principal d’introduire les jeunes générations dans l’art de la vie quotidienne. Les jeunes reçoivent une instruction secrète et reviennent au sein de la société pour incarner ces valeurs en tant qu’adulte pouvant désormais participer aux activités des aînés.
Dans les rites d’initiation notons la donation du nom. Le nom est « la réalité même de l’individu » . Car il vérifie la puissance du verbe dans la civilisation africaine dont l’oralité est primordiale et souligne l’aspect participatif et dynamique de la personne. Participatif puisque le nom connote le lien entre celui qui le porte avec les éléments qu’il réincarne. Dynamique puisque les principales étapes de la personne marquée par les rites sont parfois spécifiés par le port d’un vocable révélateur. Ainsi, en donnant un nom à l’enfant, les parents le sortent de l’anonymat, et on le distingue dans l’ordre social, ce qui lui confère une identité et permet aussi de se dévoiler. Chez les Fon du Dahomey « le nom exprime la vocation première de l’enfant » . Parce que chaque nom a une signification.
Dans le rite d’ouverture au monde l’accent est plus mis sur la circoncision. En fait, on cherche à débarrasser le jeune garçon de sa féminité, de lui ouvrir l’esprit et de le libérer d’un facteur d’ignorance d’obscurcissement, d’opacité.
V. INTERETS PHILOSOPHIQUES
Les mérites
La pensée Africaine est anthropocentrique, elle met l’homme au centre de sa réalisation et conçoit tout à partir de lui. L’anthropologie Africaine nous montre que l’homme de la naissance à la mort est une épiphanie, une révélation qui se manifeste progressivement. C’est pourquoi les rites ne consistent pas seulement à forger le caractère de l’homme mais plutôt l’aide à sortir de sa coquille . C’est dans cette logique que l’homme reçoit un nom à sa naissance, lequel lui permet de s’identifie à un lignage et au cosmos.
Contrairement à l’Occident, qui perçoit l’homme dans une individualité formée d’une âme et d’un corps, l’anthropologie Africaine nous présente l’homme comme une pluralité constituée d’un corps, d’un souffle et d’une ombre. Celui-ci est un microscome qui appartient non seulement au macroscome qui est l’univers mais aussi à une fraternité multiple. En Afrique, le corps humain est un habitacle qui est le siège de tous les éléments spirituels qui constituent la frontière cosmique entre l’homme et l’univers.
Cependant comprendre l’homme Africain, c’est saisir la signification du contexte dans lequel il vit, des paroles qu’il prononce, des gestes qu’il pose, des symboles qu’il utilise. L’anthropologie Africaine nous donne une large perspective d’appréhension de l’homme qui dépasse ainsi le paradigme dualiste Occidental qui tend « à condamner l’homme à se concevoir et à vivre emprisonné dans les limites étroites de son moi et de sa personne…et par là même l’éloigne et le coupe inexorablement de son intériorité véritable et du monde extérieur, tant des animaux que des fleurs tant des autres humains que de Dieu parce que » .
C’est pourquoi la conception tripartite de l’homme Africain peut être un grand apport dans la compréhension de l’homme. Car celui-ci est un labyrinthe dont la seule réduction aux réalités psychiques et corporelles fausse son entendement intégral. Raison pour laquelle, la valorisation de l’anthropologie Africaine est d’une grande nécessité dans la mesure où elle est un enrichissement pour la pensée philosophique, scientifique et médicale. Et l’une des preuve de son apport repose sur les travaux du Révérend père Hebga qui a rendu intelligible les phénomènes paranormaux sans faire recours à la science.
Les limites
Bien que l’anthropologie Africaine soit anthropocentrique, nous remarquons qu’elle réduit le statut de la femme à la capacité de procréation. En effet, seule la femme qui à enfanté est respecté, la femme stérile est isolée de la société.
L’homme dans la conception Africaine est éduqué à cultiver le moi social au détriment du moi personnel. C’est ainsi qu’il se retrouve aliéné par son lignage et le macroscome qui est l’univers dont il est le sujet. Cette interdépendance entre l’homme et la nature suscite un sous-développement mental qui entraîne une peur vis-à-vis de cette nature à laquelle il est lié.
La valorisation des pratiques comme l’ordalie, l’excision, l’autopsie traditionnelle, l’emploie de forces naturelles pour faire le mal est une atteinte à la dignité de la personne humaine. Réalités existantes encore de nos jours. De telles situations quotidiennes nous montrent que l’homme n’est plus un être précieux pour l’Africain. Raison pour laquelle sa revalorisation s’impose pour vaincre les forces de mal sur le bien.
CONCLUSION

Sans prétendre avoir épuisé toute la réflexion sur la question de l’homme dans la philosophie africaine, nous allons clore notre travail en affirmant de prime à bord qu’il apparaît clairement que, la conception anthropologique africaine n’est pas dualiste comme celle de l’Occident. Nous remarquons en effet, que dans la pluralité des composantes de l’homme africain, il n’y a de différence qu’au niveau de l’appellation, à cause de la diversité linguistique. Ainsi, après un travail ardu, le philosophe et anthropologue Hebga a su faire la synthèse de cette pluralité en mettant en évidence une conception triadique de l’homme communément admise en Afrique, et qui facilite la possibilité d’une certaine compréhension des phénomènes paranormaux, fonction du schéma du composé humain. Il s’agit du corps (qui porte et véhicule l’esprit), du souffle (vital) et de l’ombre qui est une entité maîtresse de l’espace-temps. L’homme en tant que principe archétypal de l’univers est le prototype de l’espace-temps. Il est le secret même de l’univers.
De ce qui précède, nous constatons que parler de la philosophie africaine revient donc, dans notre contexte d’étude, non seulement à différencier l’homme sur le plan biologique avec l’animal, mais aussi, différencier l’anthropologie africaine de l’anthropologie occidentale. Cela montre que celle-ci n’est pas universelle car comme l’affirme encore le philosophe Hebga cité par Lado : « L’universalité, la vraie, est au mieux un idéal ou une asymptote vers lesquels tendent toutes et chacune des œuvres philosophiques, qui sont structurellement et irrémédiablement particulières, limitées et situées » .
Le mobile de notre réflexion nous a aussi montré que l’homme africain émerge dans une société dont l’organisation socioculturelle marque sa particularité par rapport aux autres sociétés. Bref avec Louis Vincent nous notons que « La notion de personne résume et cohère les idées-forces de la pensée négro-africaine traditionnelle. On y retrouve, en effet, l’exigence de pluralisme, les réseaux de participations et de correspondances qui relient le sujet au groupe et au cosmos, les dimensions verbales, le dynamisme et l’inachèvement, la richesse et la fragilité, le rôle important dévolu au milieu et la référence inévitable au sacré » .




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LALANDE A,. Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, 2002, P.U.F., 1323 p..

.Sites Internet

Le corps humain dans l'Egypte antique, www.aphg.fr/egypte1.ppt,16- 12- 2009.
Dualisme (philosophie de l’esprit) http ://.fr. wikipedia.org/wiki/ , le 07-10-2010






























TABLE DES MATIERES


INTRODUCTION…………………………………………………………………………
I- LA DIFFERENCE ANTRHROPOLOGIQUE………………………………………
I.1. Le corps………………………………………………………………….
I. 2. Le jeu de l’artifice…………………………………………………………..
a) L’outil……………………………………………………………………….
b) La règle………………………………………………………………………
c) Le langage…………………………………………………………………….
II. LA CONCEPTION OCCIDENTALE DE L’HOMME……………………………..
II. 1. L’historique anthropologique…………………………………………….
II. 2. La conception anthropologique ……………………………………………
a) l’âme…………………………………………………………………
b) Le corps………………………………………………………………..
III - LA CONCEPTION AFRICAINE DE L’HOMME……………………………………
III. 1. L’anthropologie égyptienne……………………………………………………
III. 2. La notion de personne et ses composantes chez les Sara du Tchad……………..
III. 3. Les composantes de la personne dans « la puissance du sacré » de Faik-nzuji…….
III. 4. La personnalité africaine chez les Yoruba du Nigeria : Unité et pluralité de la personne…………………………………………………………………………………….
III. 5. La conception rwandaise de la personne
III. 6. Les trois instances communément admises en Afrique selon Hebga……………….
a) Le corps…………………………………………………………………………….
b) Le souffle…………………………………………………………………………….
c) L’ombre…………………………………………………………………………….
IV. L’ORGANISATION SOCIOCULTRURELLE DE L’AFRICAIN…………………….
IV. 1. Organisation politique………………………………………………………..
IV. 2. La morale dans la tradition Africaine………………………………………..
IV. 3. Organisation culturelle…………………………………………………………
V- INTERET PHILOSOPHIQUE………………………………………………………..
a) Mérites………………………………………………………………………
b) Limites……………………………………………………………………
CONCLUSION………………………………………………………………………….
BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………

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